Chère Cindy,
Permettez-moi de vous appeler Cindy. Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais : vous êtes l’enseignante de mon MOOC et je suis l’un de vos sans doute nombreux étudiants. Combien sommes-nous au fait, vraiment beaucoup ? C’est vertigineux de ne pas savoir si nous sommes mille, deux mille, cent ou deux ! C’est comme lorsque l’on regarde la télévision, on se doute qu’on n’est pas seul, mais le fait de savoir qu’on est peut-être des milliers à regarder le même programme en même temps ne rompt pas pour autant notre sentiment de solitude. Au moins, dans les émissions de jeux ou de téléréalité il y a des personnes dans le public à qui on peut s’apparenter, mais là, dans ce MOOC, je dois bien avouer qu’on se sent un petit peu seul. Bon, vous me direz il y a un forum, mais pour l’instant personne ne l’utilise ou presque et puis finalement, qu’est-ce qu’on y ferait ? On ne connait pas les autres inscrits, puisqu’on ne s’est pas présenté, et il faut bien dire que comme les seules activités que l’on nous propose, c’est de regarder des vidéos, et de faire des quiz, on ne voit pas bien quel genre de questions on pourrait poser. Pourquoi le logiciel de quiz n’accepte pas les accents, par exemple ? En voilà une chouette question, je propose qu’on ouvre un débat sur le sujet. Évidemment, si, comme vous le disiez dans une interview récente, vous pensiez «qu’il sera également très intéressant d’analyser au travers du Forum et des outils de communication disponibles sur la plateforme comment les apprenants appréhendent ce sujet, et ce qu’ils retirent de cette formation », vous risquez d’être un peu déçue. Mais, si je peux me permettre ce conseil, on sait depuis longtemps qu’un forum qui fonctionne est un forum animé : non seulement parce que l’enseignant répond aux questions posées mais aussi parce qu’il crée des occasions de discussions, en ouvrant des sujets de réflexion, ou en sollicitant l’activité des apprenants et ainsi de suite. Autrement dit être réactif c’est bien, être proactif, c’est mieux.
Donc Cindy, vous êtes mon professeur de MOOC. Je dois vous avouer que je me suis inscrit à votre cours un peu par curiosité mais aussi parce que le sujet m’intéressait, dans ma nouvelle carrière d’entrepreneur. Votre profil me semblait des plus sérieux et la renommée de votre employeur intriguant car il est encore rare qu’une entreprise se lance dans un MOOC. Mais j’ai bien compris qu’il s’agissait de faire une pierre trois coups : former vos collaborateurs en interne, former vos clients et former le grand public, en espérant, pourquoi pas, que ceux de la troisième catégorie passent dans la seconde. Et hop, un petit coup de marketing à bon marché avec, en plus, un souffle de modernité en surfant sur la vague du numérique, ça ne fait pas de mal. Mais je ne vous en veux pas c’est de bonne guerre.
Me voilà donc embarqué pour cinq semaines de cours, avec un engagement à travailler une heure par semaine sur le sujet. Je me suis inscrit en deux minutes montre en main, et, en effet, on ne m’a pas demandé de décliner mon curriculum : je me suis dit que le critère de l’ouverture était bien réel, même si j’aurais bien aimé vous en dire un peu plus sur moi. C’est vrai quoi, c’est bizarre qu’un formateur ne veuille pas en savoir plus sur les apprenants, comment vous allez m’accompagner alors si vous ne me connaissez pas ? Mais bon, on verra bien. J’étais confiant, car dans la même interview vous déclariez que « le fonctionnement même du MOOC, avec une information « descendante » et des échanges via le forum, avec l’intervenant, mais surtout entre apprenants, est une incroyable source de richesse pour tous les utilisateurs, qu’ils se trouvent du côté des apprenants ou des sachants ».
J’étais impatient de débuter et, la première semaine, vous nous avez présenté le sujet et le déroulement par une petite vidéo de 1 minute 20. Et puis j’ai dû attendre pour avoir le premier cours. Il s’agissait d’une succession de diaporamas, sous forme de vidéos déposées sur YouTube, que vous avez lus avec une articulation parfaite. Là aussi, un petit conseil, si je peux encore me permettre, mais des diaporamas comme cela on n’en fait plus depuis des années, car on a bien compris que les diapositives étaient en appui du discours et non destinées à être lues en entier, sauf à prendre le risque que les auditeurs se sentent considérés comme des benêts.
Dans une petite vignette en haut des diaporamas, on voyait une incrustation de vous qui parlait. Mais j’ai bien vu que c’était toujours les mêmes images qui défilaient car, en fait, vous n’êtes pas réellement filmée tout le temps ! J’étais un peu déçu comme lorsque, dans un spectacle de magie, on comprend le tour. C’est vrai que j'étais attentif aux détails mais c’est parce que je m’ennuyais un petit peu à la fin des vidéos.
Ensuite, il y a eu un quiz de trois questions, pour voir si j’avais bien compris. C’est sûr que j’aurais dû écouter plus attentivement au lieu de regarder vos lèvres bouger car je n’ai eu que 66 % de bonnes réponses. Ça m’apprendra à faire le malin !
Et puis c’était tout, jusque la semaine suivante. Je me suis dit que, puisqu’il s’agissait de travailler à mon rythme, j’aurais tout aussi bien pu avoir les cinq heures de cours en une seule fois et j’aurais régulé moi-même mon apprentissage. Mais cela aurait été alors une ressource autoformative et non un MOOC.
Je ne crois pas que j’irais au bout des cinq semaines, et tant pis pour le sujet, mais je l’apprendrais d’une autre manière. Ce n'est pas grave car aussi bien, il n’y a pas, et je crains qu’il n’y aurait jamais eu, d’interactions entre nous, ni avec les autres auditeurs dont je ne sais toujours pas combien ils sont. C’est dommage car nous aurions pu faire connaissance. Mais, au fond j’y pense : on dit souvent que, dans les MOOC, le problème est celui de la certification car on n’a pas moyen de savoir si c’est réellement le bon auditeur qui passe l’examen, mais pour les professeurs, c’est pareil, non ? Qui me dit que vous êtes la vraie Cindy A. et que vous n’êtes pas une actrice engagée pour l’occasion ?
Décidément le numérique ouvre de vraies questions existentielles…