49 % des enseignants du second degré sont convaincus des atouts du numérique dans l'éducation ! Ce serait le principal résultat de l’étude Profetic 2014, diligentée par le Ministère de l’Education Nationale afin de disposer d’un aperçu des représentations et des usages du numérique par le monde enseignant. Ce chiffre est en hausse de 5 points par rapport à 2012.
Certes, cette étude porte sur 2741 enseignants ayant répondu sur 5000 sondés. Comme l’enquête consistait à répondre à un questionnaire en ligne, rien ne dit que les 42 % de non-répondants ne l’aient été, soit par non réception de la dite enquête (donc à classer parmi les non utilisateurs), soit par « conviction négative » : pas de temps à perdre à répondre à une enquête sur le web !
Mais ne boudons pas notre plaisir : entre ceux qui sont pour un usage modéré du numérique (35 %), ceux qui en voient les bénéfices sans pour autant être des utilisateurs permanents (41 %) et ceux qui les utilisent au quotidien (8 %), on arrive au chiffre épatant de 84 % !
Passons rapidement sur les 2 % de ronchons de service, ceux qui ont (comme c’est bien dit !) « un fort doute des bénéfices du numérique ». A les écouter, les ados passent déjà assez de temps devant les écrans, il serait bon que l’école soit épargnée. A-t-on pensé à leur dire que l’école devait aussi accompagner les pratiques sociales pour les rendre plus efficace et productive, qu’un usage immodéré du numérique ne préjugeait pas d’un usage adapté et que l’école avait aussi son rôle à jouer dans l’éducation du citoyen numérique de demain ? « Je crois en la force de la relation humaine dans mon métier » dit encore l’un d’eux. Oui et alors, en quoi est-ce contradictoire ? Qui parle de remplacer les enseignants par des machines ? Les expériences de classe inversée montrent clairement que le numérique permet justement de consacrer plus de temps à l’accompagnement des élèves et donc à faire son travail de pédagogue. Mais passons …
La seconde catégorie (14 %) est constituée de ceux qui ont un faible recours au numérique, d’abord parce qu’ils doutent de l’intérêt (55 % ne considèrent pas vraiment que c’est un plus dans l’apprentissage), mais aussi parce qu’ils ne sont, tout simplement, pas utilisateurs de technologies. Ceux-là évoquent le manque d’équipement ou de fiabilité du matériel, mais aussi le manque de formation pédagogique « je suis prête à m’investir dans l’utilisation du numérique, dit l’une des répondantes, mais cela demande un réel accompagnement et une formation pratique qui ne se limitent pas à une présentation succincte et générale d’une multitude de logiciels ». Remarque pleine de bon sens qu’il nous a été souvent donné d’entendre. Une formation technique n’’a de sens que si elle est accompagnée de son pendant pédagogique : En quoi l’introduction d’une technologie modifie ma relation aux élèves et leurs propres relations au savoir ? Comment scénariser ou re-scénariser mes interventions ? Comment créer de nouvelles activités pédagogiques, plus interactives, plus ludiques ? Voici quelques-unes des questions pertinentes à évoquer au cours d’une formation « technico-pédagogique ».
La troisième catégorie (35 %) est constituée de ceux qui comprennent et qui croient aux vertus du numérique mais qui en ont un usage modéré. Ceux-là considèrent à 85 % que c’est un plus pour intervenir devant la classe, et à 70 % pour faire progresser les élèves, mais, finalement ils ne l’utilisent que très peu, au moins une fois par mois, mais pas plus. Les raisons évoquées sont le plus souvent le manque d’équipement et d’équipe technique d’appui : « 3 ou 4 enseignants chargés de 400 ou 500 ordinateurs fait que les postes ne sont pas à jour ». Sans doute, sans doute … mais cet argument des moyens n’est-il pas un prétexte un peu facile ? Il me semble, pour ma part, que si on est convaincu qu’un usage est favorable aux apprentissages, alors les contingences matérielles devraient passer au second plan. Pourquoi ne pas utiliser les équipements des élèves par exemple (je pense ici aux smartphones) ou encore déposer en ligne des cours ou des compléments consultables à partir du domicile ? Qui veut peut, disait ma grand-mère …
Les enseignants de la quatrième catégorie (41 %) sont clairement convaincus des bénéfices du numérique et ils l’utilisent au moins une fois par semaine : pour préparer leurs cours (90 %) ou pour conduire des activités d’apprentissage (84 %) même si ce sont eux, et non les élèves, qui manipulent le plus souvent la machine. Plus que la majorité de répondants, ils sont 84 %, dans cette catégorie à considérer que le numérique permet de diversifier les pratiques pédagogiques et 62 % à utiliser le numérique pour faire travailler les élèves en autonomie. Certains évoquent le manque d’équipement mais y pallient en apportant leurs propres matériels en classe. Tiens, tiens, qu’est-ce que je disais plus haut ?
Enfin, la dernière catégorie (8 %) regroupe les enseignants convaincus, qui ont du numérique une pratique quotidienne. Ils mettent en avant l’intérêt dans l’accompagnement du travail personnel et de la progression des élèves, et ils sont 71 % à créer des activités avec manipulation par les élèves. Dans leurs commentaires, ils déplorent le manque d’équipement et d’investissement de leurs établissements qui, peut-on lire entre les lignes, les freinent dans leur inventivité pédagogique et risqueraient de les essouffler s’ils n’étaient, avant tout, persuadés du bien-fondé d’une école numériquement assistée.
J’en étais là de ma lecture, fort d’un optimisme béat, lorsque je suis tombé sur deux commentaires plutôt accablants :
- celui du café pédagogique, qui titre « numérique : peu de progrès selon Profetic 2014 » arguant du fait que « seuls 8 % des enseignants intègrent le numérique dans leur pratique ! ». Dit comme cela, ce n’est pas faux mais tout de même, on ne peut pas passer à la trappe les 41 % qui l’utilisent au moins une fois par semaine …
- celui, plus en finesse, de Michel Guillou, qui nous invite à observer que le numérique est d’abord utilisé pour des raisons administratives (remplir le cahier de textes en ligne et saisir les notes et les absences) et surtout pour préparer ses cours. C’est donc, encore, l’outil du professeur avant d’être celui de l’élève et il est peu étonnant que les technologies les plus plébiscitées sont celles qui servent les enseignements magistraux (ordinateur pour le professeur, tableau ou vidéo-projecteur interactif ou pas).
Nous voilà donc, encore une fois, dans la dialectique du verre à moitié vide ou à moitié plein, même si, à lire ces commentaires, on pourrait considérer que le verre est … plein de vide ! Comme toujours, ce genre d’enquête qui, rappelons-le, ne concerne que 2741 enseignants sur 5000 sondés, peut donner lieu à des interprétations opposées, angéliques pour certains et alarmistes pour d’autres. Il faut la prendre pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une photographie à un instant T que l’on peut comparer à une autre faite deux ans plus tôt avec le même appareillage. Ce comparatif nous montre que la révolution numérique est loin d’être accomplie, qu’elle est en marche, mais qu’elle progresse plutôt d’un pas de sénateur que d’une foulée olympienne.
PS : je produis actuellement une formation sur l'usage du Tableau Numérique Interactif pour une école élémentaire, avec une entrée technique et pédagogique. Je vous en reparle dans quelques semaines.