J’ai un ami un peu énervant, il se reconnaitra peut-être, qui ne peut s’empêcher de nous faire la leçon. A l’écouter, ou plutôt à le lire, nous serions près de 30 millions de Français[1] à n’avoir rien compris à Facebook, et un seul à en saisir tout le potentiel en terme de conscientisation et d’action politique, à l’utiliser pour faire de la redocumentation intelligente, à l’inverse des « prédateurs de la curation » qui, selon lui, ne lisent pas ce qu’ils refowardent, tout obnubilés qu’ils seraient de la croissance de leur audience, et enfin à voir dans Facebook autre chose qu’un outil de crétinisation de masse.
Et oui, mon pauvre, la plupart des messages publiés sur Facebook ne sont pas passionnants et on peut le regretter. Mais, au passage, les propos que l’on échange le matin, au boulot, dans la cafétéria, ne le sont sans doute pas davantage. Il fait froid ce matin… A oui tout le monde l’a constaté, mais il n’empêche qu’on en parle. On voit que c’est la rentrée, y a un de ces mondes sur la route ! Ben oui, je sais on était sur la même, mais c’est bien de se le redire, des fois qu’on oublierait. Personne, sauf peut-être les asociaux chroniques, ne trouve à redire sur la vacuité de ces propos, qui permettent toutefois de créer du lien social. C’est, je l’ai appris, ce que l’on nomme la « fonction phatique » du langage, celle qui permet de vérifier que la communication passe bien avant d'échanger des messages contenant réellement de l’information. « Small talk », comme disent les anglophones pour désigner ces conversations sur le temps qu'il fait, les résultats sportifs, etc. (source : Wikipédia)
Pour moi qui travaille à domicile, et qui parfois me sent bien seul dans mon bureau, commencer la journée par un petit tour sur Facebook est, paradoxalement, une manière de reprendre contact avec le monde réel. Je m’informe, je me nourris des petits potins, je ris parfois des dessins humoristiques ou des vidéos déposés çà et là, je like, je donne à voir que j’existe encore en postant un commentaire, bref, je reste en contact avec ma famille réelle et ma famille professionnelle. C’est l’équivalent d’un « passage à la cafét. », et d’ailleurs j’accompagne ce temps de butinage d’un vrai café que je déguste à petites gorgées gourmandes.
Tiens, ce matin, pour donner un exemple, c’est Anna qui m’a appris que l’humoriste Zouc a reçu dans son pays le prestigieux Prix des Arts, des lettres et des sciences, et cela m’a remis en tête les incroyables mimiques de cette artiste hors norme. Revoir son sketch du téléphone m’a mis en joie pour la journée.
Au-delà des informations refowardées, il y a aussi ces petits riens que chacun raconte sur soi. J’ai peut-être une âme de voyeur (mais après tout sur les réseaux nous sommes tous un peu voyeur, un peu exhibitionniste) mais j’aime à suivre la vie des gens. J’ai voyagé cet été, en Albanie avec Monique, en Corse avec Fanny, à la Réunion avec Nathalie, à Porquerolles avec Marie et Jérôme, à Rodez, à la Martinique, en Espagne… Tout au long de l’année, je suis avec gourmandise les aventures professionnelles de Monique, directrice de CFPPA, les interventions de Jean-Paul, inlassable défenseur du numérique à l’école, les diatribes de Michel sur la lenteur des institutions scolaires face aux technologies. J’ai redécouvert Gilles et ses talents de photographe, j’ai renoué avec Valérie, une ancienne collègue, avec Véronique, ma cousine éloignée… bref mon petit monde d’amis, certains que je connaissais avant Facebook et d’autres non, mais qui tous me sont chers aujourd’hui. On peut certes gloser longtemps sur la notion d’amitié sur les réseaux sociaux, et considérer, comme le fait André Comte-Sponville[2] que « les relations qui se tissent sur le réseau social sont superficielles, et qu’elles n'ont guère à voir avec la “souveraine et parfaite amitié” dont parle Montaigne ». C’est sûr, c’est sûr ... il faudrait inventer un autre terme si celui-là est définitivement sanctuarisé par Montaigne et condamné à ne plus évoluer au rythme des usages sociaux. A l’inverse, on peut aussi considérer que «la sociabilité ne réside plus seulement dans le face-à-face physique [mais que] chacun se retrouve plongé au cœur d'une communauté virtuelle de proches, vivant avec eux dans une véritable coprésence numérique», comme le fait Anne Dalsuet. Cela me parait plus proche de ce que je vis aujourd’hui avec Facebook.
Bien sûr que le risque serait d’en rester à des propos basiques, et c’est sans doute le cas pour bon nombre de personnes sur les réseaux. Mais pour ce qui me concerne, j’ai choisi (je dis bien choisi) des amis épatants ! C’est la raison pour laquelle ce n’est pas le nombre qui m’intéresse, dans une course effrénée à la notoriété, mais la qualité de mes relations, dans ce qu’elles peuvent m’apporter sur le plan professionnel. De ce point de vue, ce réseau numérique et le réseau professionnel que j’y tisse avec soin et patience m’apportent chaque jour nombre d’informations sur les sujets qui me préoccupent et qui sont au cœur de mes interventions en tant que consultant (le numérique en formation pour l’essentiel) : informations sur les technologies de pointe, retours d’expériences et témoignages de pratiques, évolutions législatives mais aussi sujet de fonds, sur le tutorat en ligne, les évolutions professionnelles des formateurs, la sociologie, l’apport des neurosciences et j’en passe… autant d’informations, dont je me nourris et que j’alimente à mon tour, en commentaires, en redirection ou en productions propres. En créant autour de moi une communauté professionnelle qui n’appartient qu’à moi (même si, bien sûr, je partage des amis avec d’autres), suffisamment éclectique pour éviter une consanguinité intellectuelle qui conduirait à ce que l’on soit toujours du même avis et donc fermé sur nous-même, je bénéficie et contribue à une veille partagée et à une intelligence collective qui servent mes intérêts (le développement de mon activité professionnelle) mais qui concourent aussi, j’ai l’immodestie de le croire, à la diffusion de valeurs communes, notamment sur une approche humaniste de la formation des adultes.
[1] Laurent Solly, le président de Facebook France, a annoncé dans l'émission radio de France Inter l'Invité de 7h50 du 1er septembre, que le réseau social a franchi la barre des 30 millions d'utilisateurs actifs par mois, sur le territoire français.
[2] http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/01/02/l-amitie-a-l-epreuve-de-facebook_4342222_3246.html