Désormais, le management ne s'exerce plus seulement dans l'enceinte de l'entreprise mais potentiellement en tout lieu, en tout temps et dans des contextes inhabituels. Dès lors, le management n'est plus limité par l'espace-temps traditionnel de l'organisation et ne repose plus nécessairement sur un contexte d'action partagé.
Comme l’écrit Aurélie Leclercq-Vandelannnoitte (2013) « Grâce au développement des technologies, les managers sont autorisés à exercer leurs fonctions dans des espaces autres que celui de l'entreprise et à des horaires différents de ceux de leurs collaborateurs. Ainsi, les technologies mobiles sont étroitement liées à la question du management et du contrôle des activités à distance ».
Le manageur à distance est amené à gérer des « entités », individuelles ou collectives, dont il est totalement ou partiellement éloigné. Selon les cas, les collaborateurs peuvent être toujours à distance (chez eux ou en clientèle) où seulement quelques jours par semaine (c’est souvent le cas du télétravail, notamment) ; le territoire de l'équipe peut être plus ou moins large (département, région, pays) ; l'équipe peut être constituée d'individus isolés ou de sous-groupes localisés sur des sites différents ; enfin, le manager peut être à côté d'une partie de l'équipe, isolé sur un site ou encore nomade, rayonnant sur l'ensemble des sites sans point d'attache particulier.
La distance modifie inéluctablement l’acte de manager. La supervision directe n'est plus possible : Le contrôle sur les réalisations peut difficilement s'exercer de visu, il faut faire confiance en prélevant suffisamment d'informations pour suivre l'état d'avancement des travaux. Par ailleurs, le non verbal, les expressions, les mimiques, les échanges informels sont des éléments importants que l’on perd en partie avec les technologies. De même, les ajustements mutuels et les régulations informelles (dans la salle de pause, autour de la photocopieuse) sont difficiles à reproduire à distance. Enfin, l'absence ou la diminution des temps conviviaux peut nuire à la cohésion d'équipe.
Le modèle directif, descendant, ne fonctionne plus dans des organisations du travail flexible où l'information est partagée entre tous les collaborateurs et n'est plus l'apanage du manager, ce avec quoi il pouvait, jadis, asseoir son pouvoir. Ce phénomène va s’accentuer avec l’arrivée des « générations Z » sur le marché du travail qui rejettent radicalement la notion de management vertical. Le rôle du manager évolue vers des fonctions d'animation, de conseil et d'aide, prenant ses distances avec la fonction de contrôle. Cette mutation implique l'instauration d'une relation de confiance de plus en plus forte entre le supérieur et les subordonnés et la mise en place progressive d’environnements numérique facilitant l’interaction entre les membres de l’équipe pour atteindre un but commun.
De ce point de vue, la typologie SMAR de Ruben Puentedura, initialement conçue pour rendre compte de l’intégration du numérique dans les systèmes éducatifs est, par analogie, très éclairante pour accompagner une diffusion du digital dans les équipes à distance. Le chercheur y classe en effet les technologies selon le degré de transformation qu'elles entrainent sur l'acte pédagogique, de la simple substitution à la redéfinition en profondeur.
Au niveau « Substitution », on pourra optimiser les échanges d’informations et les reporting en travaillant sur un meilleur usage des mails, par exemple en produisant collectivement des « codes d’urgence » et en mettant en œuvre des bonnes pratiques : ne pas mettre systématiquement tout le monde en copie, respecter des règles de courtoisie, utiliser l’option « envoi différé » pour ne pas envoyer des mails tard le soir mais les reporter au lendemain, et ainsi ne pas empiéter sur la vie privée des collaborateurs… sont autant d’exemples possibles de bonnes pratiques managériales à distance. Je vous invite à vous inspirer à ce sujet du guide produit par l’Observatoire des responsabilités sociétales des entreprises (ORSE) intitulé « pour un meilleur usage de la messagerie électronique dans les entreprises ».
Au niveau « Augmentation », on préférera autant que faire se peut les visioconférences bipoints ou collectives aux échanges téléphoniques. Ces applications, maintenant techniquement accessibles, fiables et simples d’usage, permettent de réintroduire des indicateurs non verbaux dans les relations bilatérales, et de réinventer des rituels managériaux : la réunion synchrone à distance du lundi matin pour entamer la semaine, la pause-café partagée même à distance, etc. L’animation peut être tournante, de même que la prise de notes. Ne pas minimiser non plus l’usage des messageries instantanées pour des informations factuelles, à condition bien sûr de ne pas attendre systématiquement une réponse immédiate : votre collaborateur n’est peut-être pas disponible au même moment que vous ! L’usage des emoticons peut aussi réintroduire une dimension affective et donner à voir l’état d’esprit de son interlocuteur.
Au niveau « Modification », on pourra introduire des outils de veille partagée (type Pearltrees ou Scoop-it) mais également des réseaux sociaux d’équipe. Yammer est un bon exemple de réseau social d’entreprise, moins connoté que Facebook, mais proposant les mêmes fonctionnalités. Une condition de réussite cependant : que ces outils soient pleinement intégrés dans l’environnement numérique quotidien des collaborateurs, autrement dit facile d’accès : un clic pour partager un lien…
Au niveau « Redéfinition », on ira plutôt vers les espaces collaboratifs, de type Google Drive ou Share Point, qui permettent de partager un bureau commun, d’organiser la documentation partagée, et surtout de produire ensemble grâce aux applications collaboratifs (traitement de texte). Pour les allergiques à Google, des outils tel que Framapad (produit par Framasoft), couplés à une visioconférence permettent de reconfigurer à distance la dynamique d’une réunion de production collective, tout en transformant progressivement les modes de production, les rapports à la hiérarchie, le vivre et travailler ensemble.
NB : Le dessin en tête de cet article est de G. Mathieu. Il est capté sur le rapport de l'ORSE cité en intra