… et j’ai versé une larme le jour où il est mort. Enfin, le jour où j’ai su qu’il était mort, ce 9 juin 1918/2018, « Frédéric B. est frappé d’une balle au cœur et s’affaisse dans son trou, sans vie, à genoux, comme s’il priait encore ». Nous le redoutions tous, ce tweet, alors que depuis quatre ans nous suivions au jour le jour la vie dans les tranchées de Frédéric B. - nous ignorions alors son nom - ses moments de bravoure, sa fidélité à sa famille et à sa patrie, mais aussi ses doutes et ses découragements face à cette guerre qui n’en finissait pas. Quelques heures avant sa mort, il nous disait encore « Cela fait 8 heures que les Allemands nous bombardent continuellement au nord et au nord-est de Vrigny. Je crains la suite des événements. Que ne donnerais-je pas pour être au repos ! ». Tous ceux qui le suivait espéraient, j’imagine, qu’il ait pu rentrer chez lui sain et sauf de cette guerre absurde, nous qui savions qu’elle prendrait fin dans quelques mois.
C’est par le biais de Yann Bouvier que nous avions fait connaissance il y a quatre ans avec ce jeune homme embarqué dans un conflit qui le dépasse. A partir du vrai journal de guerre de Frédéric, celui qu’il tenait dans les tranchées, ce professeur d’histoire au lycée de Fontsorbes (31) a animé un collectif de lycéens qui, chaque jour, extrayait un épisode de ce journal pour en faire un tweet illustré d’une photo d’époque ; comme si, durant quatre ans, nous parvenaient via Twitter des nouvelles du front.
Je ne suis pas féru d’Histoire avec un H majuscule, j’aime en revanche les histoires singulières, et la manière dont, comme dans les romans d’Annie Ernaux, la mémoire individuelle permet d’appréhender la mémoire collective. Par le passé, j’ai visité Verdun, Vimy et Notre Dame de Lorette où mon grand-oncle, invalide de guerre, était gardien, mais sans ressentir avec autant d’émotion et de compréhension le vécu des poilus tel que j’ai pu le faire avec Frédéric Branche.
Il faut dire qu’au-delà de lire chaque jour ou presque un tweet de Frédéric (oui, pour moi, c’était bien lui qui tweetait !) j’ai aussi largement présenté et commenté cette expérience pédagogique originale lors de mes formations sur l’apport du numérique en formation ; l’usage pédagogique des réseaux sociaux est encore peu développé et c’était pour moi pain béni ! Je vais demain me sentir un peu orphelin, même si je continuerais encore longtemps de parler de ce projet éducatif.
Ce qui est novateur dans cette expérience est sans aucun doute l’appropriation de l’Histoire qu’ont pu expérimenter ces lycéens, à la fois découvreur, chercheur et acteur. Nul doute qu’ils retiendront cette période historique, mieux qu’ils n’auraient pu le faire avec aucun manuel scolaire. Nul doute qu’ils ont également appris par ce biais la recherche documentaire, l’esprit de synthèse et la concision (140 caractères au début, 280 ensuite), l’argumentation, la précision scientifique, la persistance (quatre ans), et d’autres qualités personnelles telle que l’empathie.
Pour tout cela, merci Monsieur Bouvier; merci de nous montrer que le numérique n'est pas, comme on tente de nous le faire croire, source de tous les maux de notre société moderne et que de judicieuses utilisations sont possibles, et souhaitables, en milieu scolaire.
Frédéric B. (Branche) 14-18 (@FredericB_1418) | Twitter
The latest Tweets from Frédéric B. (Branche) 14-18 (@FredericB_1418). Ma guerre de 14-18 en #LT, 100 ans après, par les lycéens de #Fonsorbes détenant mes carnets (Resp @ybouvier) #WWI #1GM ...