… et le fait que j’ai eu dernièrement des retours négatifs n’y est évidemment pour rien !
Non bien sûr, je plaisante ; j’ai, toute cette année, plané sur un petit nuage car les nombreuses formations de formateurs (ou de cadres de la formation) que j’ai animées, soit environ une trentaine de stages de deux à quatre jours, ont presque toujours donné lieu à des retours positifs et élogieux ; je crois que j’ai trouvé le ton et le rythme pour faire passer en quelques heures des messages parfois ardus et dérangeants. Mais cependant, pour une de ces formations, mon égo en a pris un coup car les indices de satisfaction sont passé en dessous de la moyenne et j’en ai été perturbé, d’autant que j’avais animé deux stages à la suite (le même) et que l’autre groupe avait, oserais-je dire comme à l’accoutumée, apprécié mon intervention.
Je me suis d’abord inquiété de voir à quel point cela m’avait atteint ; il est vrai que certains commentaires, sous couvert d’anonymat, mettaient en cause un aspect physique de ma personne (ma voix) qui n’a que peu à voir avec le contenu de mon intervention, mais cela n’expliquait pas pour autant pourquoi, dans la masse des « bonnes évaluations » celle-ci m’avait autant touché. Je me suis dit que ce qui me perturbait le plus était le fait que je n’ai rien vu : à aucun moment, je n’ai perçu qu’une partie du groupe n’adhérait pas à mes propositions et de ce point de vue je reconnais une certaine défaillance. Je me suis souvenu également des conditions de cette formation : dés le tour de table initial, plusieurs des participants ont exprimé le fait d’être là contre leur gré, qui plus est dans un lieu assez éloigné de leurs domiciles, et surtout d’être rétifs au numérique. Rien d’insurmontable, en principe, mais un climat assez peu ouvert à la nouveauté. Enfin, je me suis interrogé sur la nature même de ces évaluations de fin de stage : Êtes-vous satisfait de la formation ? si le participant est volontaire, s’il a des attentes précises, si mon offre est conforme au programme annoncé, et, surtout, si le modèle pédagogique que je propose est en adéquation avec son propre modèle, alors j’ai toutes les chances que la réponse soit positive. Dans le cas contraire, une réponse positive serait presque … le signe d’un échec ! En effet, ce que l’on attend de moi lors de ces formations (et c’est à mon sens, le cas de toute formation) est une transformation ; le participant entre avec une certaine compréhension du concept qui va être traité - ici, en l’occurrence, la place du numérique dans la formation ou dans l’accompagnement - et j’ai quelques heures pour faire évoluer cette représentation. Cela ne se fait pas sans douleur, sans une certaine forme de renoncement, car l’introduction du numérique heurte souvent les représentations que se font ces professionnels de leurs métiers et les bousculent dans leurs certitudes intimes. Il faut à la fois rassurer (mais non, le numérique ne s’oppose pas à la relation humaine !) tout en expliquant que le monde change, que tous les métiers sont impactés dont, a fortiori, ceux de la médiation. L’art du formateur de formateurs consiste alors à proposer des situations pédagogiques « déstabilisantes mais non déstructurantes » qui permettent les ruptures épistémologiques. Mais, pour certains participants, cette rupture est douloureuse et les effets de cette douleur peuvent se retourner vers celui qui l’incarne, autrement dit l’animateur de la formation. Ceci est d’autant plus vrai lorsque le modèle pédagogique est aux antipodes de la conception que se fait le participant de ce qu’est apprendre. Une étude récente a montré que des étudiants pouvaient être rétifs aux méthodes actives, et que cette résistance, qui peut conduire à des comportements de colère, de frustration ou de protection est en partie lié « aux croyances qu’entretiennent les étudiantes et étudiants sur l’apprentissage. Ainsi, un étudiant qui croit que la connaissance passe simplement d’une personne experte à des personnes néophytes risque de considérer que l’apprentissage par les pairs équivaut à une perte de temps ».
C’est donc bien ici de modèle épistémologique donc il est question et le changement que j’attends, à l’issue de mes formations, est que les participants remettent en cause, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, un modèle basé sur la transmission de connaissances pour aller vers un modèle basé sur la construction de connaissances, modèle pour lequel il n’est plus utile de montrer le bien fondé de l’usage du numérique.
Décidément, non, la formation n’est pas un « produit » qui s’évalue comme les autres et les commanditaires (la plupart de temps employeurs ou financeurs) doivent construire des questionnaires de satisfaction pertinents et les analyser aux regards des attendus ; sans pour autant nier que les évaluations positives disent aussi quelque chose de la qualité de la formation, rechercher à toutes forces une adhésion des participants pour cumuler les bonnes notes pourrait conduire à tomber dans la démagogie ; par exemple, j’aurais tout à gagner à rester transmissif lorsque les participants sont eux-mêmes sur le mode transmissif, ce qui serait, bien évidemment un renoncement à faire évoluer les participants et donc, in fine, le signe évident d’une non qualité !
Évaluer la qualité d'une formation est donc plus complexe qu'il n'y parait, souhaitons que, dans le cadre de la réforme, le législateur perçoive ces nuances lorsqu’il s’agira de mettre en place la démarche de labellisation des organismes de formation !