source de l'illustration : http://www.lettresnumeriques.be/2016/04/18/outils-et-ressources-numeriques-pour-lautisme/
Poser la question est déjà y répondre ! Il n’est plus à démontrer que le numérique impacte tous les métiers, et au premier chef les métiers de la médiation. Or, assez paradoxalement, une partie non négligeable de la communauté professionnelle des « éducateurs spécialisés » semble encore hésiter, voire résister, à son intégration au sein des dispositifs d’accompagnement et dans les établissements socio-éducatifs. Les réseaux sociaux cristallisent notamment des positions extrêmes de rejet ou d'adhésion inconditionnelle, alors qu’il faudrait opter pour une position plus mesurée. Les raisons sont nombreuses : la « technologisation rebutante » des spécialistes, la crainte de déshumanisation de la relation éducative, la conviction que les compétences numériques sont secondaires face aux autres difficultés des personnes accompagnées (logement, insertion, formation, handicap…), le sentiment de perte de la maitrise des relations avec l’environnement et les familles des mineurs accompagnés (notamment ceux sous tutelle), ou plus simplement le manque d’intérêt ou la méconnaissance des usages possibles des technologies.
Pourtant, la maitrise de la « culture du numérique » est indispensable pour les acteurs de ce secteur et pour plusieurs raisons :
- Tout d’abord pour rechercher de l’information, pour communiquer avec les partenaires et les institutions, pour transmettre des données personnelles en toute sécurité … les carnets de bord et autres cahiers de transmission ont laissé la place aux outils en ligne, et certains professionnels peuvent être en difficulté sur la maitrise même des outils informatiques ou sur la question de la confidentialité et de la sécurisation des données.
- Pour ne pas ajouter « du handicap au handicap » ; dans une étude datant de 2014, Véronique Le Chêne et Pascal Plantard constatent que « les travailleurs des Esat de l’Adapei 35 utilisent peu les technologies numériques dans le cadre des ateliers de travail : 10 % des 600 travailleurs enquêtés les utilisent pour du traitement de texte, des saisies de données dans un tableur ou des scans de codes-barres. Parallèlement à ce résultat, 46,6 % de l’ensemble des personnes rencontrées ont des usages personnels de l’ordinateur et d’Internet, contre 79 % des foyers bretons en 2012 ».
- Pour mieux prendre en charge le handicap, de nombreux logiciels facilitant la prise en charge des publics voient le jour : concernant l’autisme par exemple, voir notamment l’article des tablettes au service des enfants autistes, la page spéciale du site Educavox ou bien encore les outils référencés par l’association Autisme Suisse romande. Lors de mes formations avec des éducateurs, je présente également le Recueil de technologies d’adaptation édité par La Coalition Ontarienne de Formation des Adultes (COFA) qui propose de nombreuses applications très simples d’usage, notamment des logiciels de reconnaissance vocale ou de pilotage du clavier par les yeux, adaptés à tout type de handicap.
- Pour communiquer avec les personnes accueillies en utilisant leurs outils (notamment les jeunes générations), les accompagner dans une utilisation réfléchie et lutter contre des utilisations inappropriées. Tout, loin s’en faut, n’est pas bon sur le web et le numérique peut être source d’addiction et porteurs de risques de dépendance, d’infobésité, de rupture avec la vraie vie, de rencontres inappropriées, de désinformation, de harcèlement. Mais d’autre part les réseaux sociaux, les jeux en ligne, le téléchargement de vidéos, les blogs, les outils de création (musique, vidéos…) sont porteurs de nouvelles formes de socialisation, ils permettent aux jeunes et aux moins jeunes de produire du lien social, et sont aussi, potentiellement, de nouvelles voies pour se former, développer de nouvelles compétences (navigation, recherche d’informations, multi activité) et renforcer son employabilité.
En résumé, le numérique n’est pas seulement une donnée supplémentaire à intégrer par les éducateurs spécialisés, mais il transforme l’essence même de cette profession. Schématiquement, que fait un éducateur ? Il aide les personnes accompagnées à se socialiser dans différents environnements (devenir soi avec les autres), à apprendre (aide aux devoirs par exemple), à s’insérer professionnellement (se qualifier, trouver un travail, exercer un emploi en milieu normal ou protégé). Or le numérique modifie en profondeur ces trois dimensions, avec autant d'aspects positifs que de risques potentiels :
- La fonction de socialisation « exister avec le numérique ». Les technologies permettent de s’affirmer, de s’exprimer, de rentrer en contact avec d’autres, de se construire, mais peuvent aussi conduire à l’isolement, au repli sur soi, au dénigrement, à la perte de l’estime de soi.
- La fonction d’apprentissage « apprendre avec le numérique ». Les technologies ouvrent les portes de la connaissance universelle et propose de nouvelles manières d’apprendre (méthodes, outils, apprentissage en réseau, gratuité …) mais peuvent aussi donner l’illusion de la facilité, et diminuer le sens critique.
- La fonction d’intégration professionnelle « se professionnaliser et s’intégrer avec le numérique ». Les technologies permettent de mettre en avant ses compétences, de découvrir d’autres métiers, de constituer un réseau professionnel, mais une mauvaise image de soi peut aussi desservir une démarche de recherche d’emploi.
C’est pourquoi, l’enjeu de la formation des éducateurs est de taille. Qu’ils soient rétifs ou plutôt pro-technologies, il est indispensable de les aider à se positionner objectivement face à cette nouvelle réalité, sans surenchère technologique mais en optant pour une entrée par les usages : de quoi parle-t-on, quels sont les usages aujourd’hui, comment accompagner l’acquisition de la compétence numérique tout en prévenant les risques liés aux technologies et aux réseaux, comment mieux les utiliser au service des personnes accompagnées, etc.
Ce peut être aussi une occasion de réfléchir à l'évolution de son métier et de créer des projets intra ou inter établissements.