L’accompagnement au changement suppose d’aider les personnes à s’affranchir de leurs cadres de références habituels, de sortir de leurs contextes pour leur permettre de poser ensuite de nouveaux cadres structurels en rupture avec l’organisation antérieure. Pour ce faire, le recours à l’analogie est parfois un bon levier.
J’avais rédigé il y a quelques années un article intitulé « partir en formation comme on part en randonnée » dans lequel je faisais le parallèle entre le projet de partir en randonnée (avec ou sans guide, seul ou accompagné, avec ou sans ressources …) et le départ en formation. Je vais reprendre ici l’analogie avec les déplacements pour tenter d’expliciter le concept de formation multimodale.
Supposons pour cela que je décide de me rendre à Paris, à une heure trente environ à vol d’oiseau de chez moi. Comment puis-je m’y prendre ?
La première solution est d’utiliser mon véhicule personnel. M’exposant aux inévitables bouchons en région parisienne (mais c’est mon choix), je serais seul au volant de ma voiture. Je vais utiliser les ressources de mon environnement, celles du domaine public (les routes) ou du domaine privé (les autoroutes), ainsi que mes propres outils : ma voiture, le GPS, la radio. Je choisirais moi-même mon heure de départ et si j’arrive en retard je n’aurais à m’en prendre qu’à moi-même. Je serais « auto-nome » en quelque sorte.
Pour faire quelques économies, être écoresponsable ou simplement éviter la solitude, je peux aussi choisir de covoiturer : je me rendrais alors sur un site dédié et, selon mon envie du jour, je proposerais mes services ou je rechercherais un trajet correspondant à mon itinéraire.
Plus couteux, je peux choisir de faire appel à un taxi ou un Uber. Je choisirais mon heure et mon lieu de départ, j’indiquerais ma destination et, une fois cela accompli, je vais en quelque sorte « sous-traiter » la responsabilité de mon déplacement à un tiers. Je pourrais même terminer ma nuit durant la course, n’ayant que peu d’effort de sociabilité à faire en l’occurrence, pour peu que je ne tombe pas sur un conducteur trop bavard.
La dernière solution, et c’est le choix que je fais le plus souvent, est de prendre les transports en commun. En amont, je me rendrais sur une application très pratique (www.ratp.com) qui va me poser plusieurs questions : mon heure de départ ou d’arrivée souhaitée, est-ce que je préfère n’utiliser que les transports ferroviaires ou le bus, ou le métro, etc. En fonction de mes réponses, l’application va me proposer plusieurs combinaisons possibles et je vais retenir celle qui me convient le mieux ; par exemple, me rendre en voiture jusqu’à la gare, puis prendre le train pour Paris Gare de Lyon, puis le métro ligne 14 en direction de St Lazare, Arrêt Chatelet, puis le bus 63 jusque Henri Martin, puis terminer à pied.
Une fois en route, lorsque je vais emprunter ces transports en commun, je vais croiser à chaque étape des personnes différentes avec qui je vais faire un « bout de chemin » mais qui, toutes, auront des points de départ et des destinations différents. Ces différents moyens de locomotion sont pilotés par des professionnels entre les mains desquels je mettrais, pour un temps, ma vie. Bien évidemment, cette proposition n’est possible que grâce à l’existence d’une offre de services large : des lignes de métro, de train, de bus, de tramway… qui vont capter des clients venant de différents points de départ en direction de différents points d’arrivée.
Quelle est maintenant l’analogie avec la formation ? La première solution peut s’apparenter à un courant de l’autoformation appelé autodidactie : je décide de me former, et j’entreprends pour ce faire une démarche solitaire, en mobilisant mes ressources et celles de mon environnement : Youtube, Google, manuels... Peu riche en relations humaines, cette manière peut convenir à condition de tenir bon dans le temps, d’avoir suffisamment de motivation et d’énergie pour aller au bout de ma démarche. Cette solution peut également s’appuyer sur un MOOC (cours gratuit en ligne) et je pourrais également fréquenter un « tiers lieux » pour, par exemple, accéder à internet, rencontrer des professionnels ou d’autres apprenants.
La seconde solution serait une forme de cours particulier ou de coaching, en ligne (style Acadomia) ou en live ; mais contrairement aux transports, la réussite d’une formation nécessite un investissement de ma part : peu de chance d’apprendre quoique ce soit en dormant, même avec un bon précepteur !
La troisième solution, qui a pris son essor dans les transports grâce au numérique et au web 2.0 avec des sites comme BlaBlaCar existe depuis très longtemps dans le courant de l’autoformation dite sociale : elle porte le nom de Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs, mouvement initié en 1971 par Claire Heber-Suffrin qui considère que toute personne possède des savoirs et peut les transmettre à d'autres et peut, parallèlement, s'enrichir du savoir des autres. Comment cela fonctionne ? Si une personne souhaite participer, elle contacte le réseau le plus proche de son domicile puis, avec l’aide d'un membre de l'équipe d'animation, elle formule une offre et une demande de savoir et lorsque des offres et demandes peuvent correspondre, l’équipe d’animation du réseau met en relation les offreurs et demandeurs. Le réseau ne sert que de mise en relation entre de personnes expertes d'un domaine et des personnes novices.
La dernière solution, enfin, s’apparente à un dispositif de formation individualisé et multimodal. Sur Wikipédia, la multimodalité est définie comme « la présence de plusieurs modes de transports différents entre deux lieux. On parle de multimodalité entre deux lieux si on peut les relier par des trajets empruntant des modes de transport différents ; par exemple la multimodalité entre deux villes renvoie à l'existence à la fois d'une ligne de chemin de fer et d'une autoroute ». Comme dans les transports, la multimodalité en formation comprendra donc des modalités différentes que l’on peut qualifier par trois dimensions. Elles seront en effet :
- Synchrone, lorsque le formateur et l’apprenant sont réunis dans un même temps un même espace ou asynchrone, lorsque le formateur propose des activités et corrige les productions mais que l’apprenant se forme en dehors de sa présence permanente ;
- en présence (dans le centre de formation) ou à distance (entreprise, domicile, tiers lieux, transport en commun …) ;
- collective (dans un groupe classe) ou individuelle.
Comme le montre le tableau ci-dessous, la combinatoire de ces trois dimensions permet de caractériser huit modalités : du synchrone collectif en présentiel (un groupe classe d’élèves réunis dans un même lieu au même moment), à l’asynchrone individuel à distance (l’autoformation individuelle au domicile), en passant par exemple par le synchrone collective à distance (regroupement en classe virtuelle).
Au démarrage de la formation, un parcours sera proposé (et non imposé) à chaque apprenant à partir d’un diagnostic de ses besoins, de son projet, de son niveau, de ses disponibilités, voire de ses préférences cognitives. Chaque parcours sera donc différent en termes de modalités, de volume, de durée, d’intensité, de point d’entrée et de point de sortie. A chaque étape de son parcours, plus ou moins longue selon les cas, l’apprenant va se former avec d’autres apprenants, avec qui il fera un bout d’apprentissage en commun mais jamais complétement avec le même groupe. Enfin, chaque étape sera animée par un formateur expert du contenu qui va prendre en charge le groupe et le conduire à bon port.
Cette analogie permet d’éclairer ce modèle organisationnel, même si la comparaison trouve ses limites. Par exemple, contrairement aux modes de transports, la réussite de la formation demande un investissement de la part de l’apprenant : si dans les transports on peut être passif, en formation en revanche il faut donner de soi pour avancer avec les autres. De même, le formateur n’est pas seulement celui qui guide ou qui pilote, mais aussi celui qui accompagne, qui anime, et qui doit même encore personnaliser l’accompagnement à chaque étape : en quelque sorte, il est à la fois dans la cabine de pilotage et avec les voyageurs, à leur écoute, dans une démarche d’accompagnement tantôt individuelle tantôt collective. Mais d’un point de vue économique et structurel, l’analogie permet d’identifier plusieurs conditions :
- une gamme de services diversifiée qui fonctionne en permanence, ce qui suppose de réaliser un prévisionnel de fréquentation moyen et d’ajuster l’offre chemin faisant
- une organisation structurée, aisément compréhensible par tous les acteurs (personnels, usagers, financeurs…)
- un système de pilotage global permettant de nombreux aiguillages et bifurcations
- un outil, en partie numérique et automatisé, d’identification des besoins des usagers et d’auto positionnement
- une communication claire et actualisée en permanence sur l’offre de service proposée
- des moyens technologiques fiables
- des personnels qualifiés et poly compétents