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J’ai testé pour vous : la médecine industrielle

Je voudrais vous faire part ici de l’expérience quelque peu traumatisante que je viens de vivre. Ayant été opéré il y a quelques années pour un décollement de la rétine, tout souci oculaire me plonge instantanément dans des inquiétudes irraisonnables ; c’est pourquoi, en raison d’une douleur persistante à l’œil ayant subi cette opération, je me suis mis en quête il y a quelques jours d’un ophtalmo pour vérifier ma vue.

Agréable surprise, alors que je m’attendais à essuyer plusieurs refus en tant que potentiel nouveau client, le premier ophtalmo que je trouvais sur les pages jaunes me donna un rendez-vous dans la semaine, non pas chez lui mais à la Clinique P. P. de Sens

Arrivé le jour J, une file d’attente impressionnante m’attendait au secrétariat du service ophtalmologie. La personne devant moi, auprès de qui je m’enquérais de la marche à suivre m’expliqua doctement qu’en effet ici on n’attendait pas pour obtenir un rendez-vous mais que le prix à payer était celui d’une certaine attente sur place. Il en profita pour me tenir un discours fort à propos sur l’emploi du mot « patient » dans le domaine médical.

Après une attente somme toute raisonnable, l’une des trois secrétaires me pria d’avancer : nom, prénom, carte vitale et paiement de la consultation. Bien que me doutant que cette consultation à l’œil ne serait pas gratuite, je fus quelque peu surpris de devoir payer d’emblée, comme chez certains routiers où vous devez payer avant de consommer. De peur que vous ne partiez sans payer ? La suite me montra que l’hypothèse n’était pas sans fondement. On m’annonça alors que j’avais rendez-vous avec un télé-médecin (à mon corps défendant  car je ne me souviens pas qu’on me l’ait signalé lors de ma prise de rendez-vous), que j’aurais droit aux meilleurs examens possibles mais pas à celui de rencontrer un praticien en chair et en os. Me connaissant, vous vous doutez bien que cela n’allait pas m'arrêter, tout ce qui touche au « télé-quelque-chose » n’étant pas de nature à me rebuter.

Je fus alors pris dans une procédure, fort bien huilée j’en conviens, dans laquelle je me suis tantôt senti comme un poulet de batterie, tantôt dans Les Temps modernes de Charlie Chaplin, tantôt dans le bordel ambulant décrit par Jacques Brel. Premier examen directement dans la salle d’attente avec une opératrice : une machine (deux minutes), une deuxième machine (trois minutes), on essuie la mentonnière d’un coup de lingette et au suivant. Deuxième examen dans un cabinet avec une autre opératrice : regardez ici, regardez là, c’est mieux, c’est moins bien ? et là vous lisez quoi ? Cinq minutes à tout casser et au suivant. Troisième examen avec un opérateur (oui, un jeune homme cette fois) :  mettez votre menton ici, regardez là, trois minutes montre en main, on n’essuie plus la mentonnière (pas le temps), et au suivant. Quatrième passage enfin dans un cabinet avec un autre opérateur (jamais le même), pour le bilan. On m’expliqua alors que le médecin qui avait analysé mon dossier à distance et en direct en a conclu que, dans mon cas, il serait bien de procéder à des examens complémentaires et cette fois de faire appel à un médecin traditionnel, la télémédecine étant, hélas, faite à ce jour pour des cas standards dont ma forte myopie m’excluait malheureusement. Je me suis demandé qui était ce médecin qui avait, en un temps record, diagnostiqué mon cas sur la base des examens pratiqués : un ophtalmo tétraplégique ? un homme-orchestre recevant en même temps dans son propre cabinet et traitant en parallèle des dossiers sur son ordinateur ? un médecin étranger resté dans son pays d’origine ? une intelligence artificielle ? Je ne le saurais sans doute jamais.

Un peu désarçonné et toujours aussi inquiet sur l’état de mon œil, je me suis remis dans la file d’attente pour convenir d’un autre rendez-vous. La secrétaire m’annonça qu’à la prochaine consultation je devrais prévoir 100 euros de coût, et me fixa une nouvelle date.

Mais dans la confusion dans laquelle j’étais, je me trompa sur mes disponibilités. De retour chez moi, j’appelais le standard pour rectifier mon erreur ; la secrétaire me dit alors que je devais appeler directement le service et me donna le numéro. Cependant, j’aurais dû me douter à sa voix qu’elle doutait elle-même de la chance de voir aboutir mon projet. En effet, personne ne répondit, jamais, à mon appel. Un mail, deux mails n’eurent pas plus de succès, pas plus que le SMS que je renvoyais suite au rappel de l’échéance. J’étais bloqué dans la procédure, condamné à me rendre au rendez-vous fixé ou à renoncer, définitivement, à être soigné par la Clinique P. P. de Sens. C’est ce que j’ai fait. J’ai depuis été reçu par un autre ophtalmologiste, en cabinet de ville cette fois, qui m’a rassuré sur mon cas.

J’ai souvent évoqué dans mes articles la nécessité d’industrialiser les process de formation, et expliqué en quoi cette industrialisation ne devait, ne pouvait pas nuire au maintien d’une relation humaine de qualité. Au contraire, le fait de s’appuyer sur la technologie devait dégager du temps pour être davantage à l’écoute, au service du bénéficiaire. J’utilise souvent le paradigme de la médecine pour expliquer que les apprenants doivent être considérés comme les acteurs principaux de leurs formations, au même titre que les patients doivent de plus en plus être « acteurs » du diagnostic et partie prenante du traitement. J’ai sans doute omis dans mon analyse de préciser que cela ne vaut que lorsque le numérique, la technologie, l’industrialisation ne sont pas uniquement mis au service du profit et des enjeux économiques de rationalisation des coûts, au détriment de la qualité du service.

Tag(s) : #expériences, #Industrialisation
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