Le magazine en ligne Sydologie a publié il y a quelques mois un livre blanc intitulé « la place des grandes théories de l’apprentissage dans la formation » dans lequel les auteurs proposent une découverte du behaviorisme, du cognitivisme, du constructivisme, du socio-constructivisme, et du connectivisme. Cet ouvrage de vulgarisation est plutôt bien fait, il résume de manière simple et imagée ces théories et il en déduit des applications concrètes. Cependant, comme dans beaucoup de publications de ce genre, les auteurs se méprennent à mon sens sur un point, en affirmant que toutes ces théories se valent, et que le formateur pourrait donc « piocher » celle qui convient le mieux au type de contenus qu’il veut traiter : les tables de multiplication à l’école avec le béhaviorisme, le théorème de Pythagore avec le cognitivisme, etc. Dans leur conclusion, les auteurs développent cette idée de la manière suivante : « L’apprentissage est un processus très complexe, qui ne serait que très mal résumé par un et un seul de ces modèles. Sans doute que la « vérité » se trouve justement au carrefour entre toutes ces théories : il n’y aurait alors pas de théorie meilleure qu’une autre, mais elles pourraient toutes être appliquées en fonction des besoins, des objectifs et des contraintes de chaque action de formation ».
C’est un point de vue discutable car je pense, comme j’ai eu l’occasion de l’écrire à plusieurs reprises, notamment sur ce blog, que ce qui sous-tend les méthodes pédagogiques est toujours la conception que l’enseignant a du savoir. Le modèle pédagogique est un système de pensée, qui rend compte de notre propre conception de « ce qu’est le savoir » et de ce point de vue il ne peut y avoir d’alternative en fonction de l’objet d’apprentissage :
- Soit nous adhérons à une épistémologie de type « positiviste » ou « objectiviste » et nous pensons alors que la réalité existe en dehors de l’observateur et indépendamment de ce qu’une personne peut croire ou ne pas croire. On peut donc « transmettre » la connaissance d’une personne qui la possède à une personne qui ne la possède pas, sans tenir compte de ce que cette personne connait déjà du sujet.
- Soit nous adhérons à une épistémologie de type constructiviste (ou socioconstructiviste selon l’importance que l’on accorde aux interactions sociales dans la construction de la connaissance) et nous pensons alors que la connaissance est construite par notre perception, que nous l’acquérons par l’assimilation progressive d’informations que nous intégrons à notre « déjà là », c’est à dire nos connaissances antérieures du sujet. Elle n’est donc pas transmissible car elle est propre à chacun de nous, même si un consensus peut momentanément se faire sur une représentation qui soit acceptable par le plus grand nombre.
Ces deux visions s’opposent, elles ne sont pas compatibles.
Dans son excellent ouvrage en ligne « l’enseignement à l’heure du numérique » Tony Bath défend une opinion similaire : « Nos croyances et nos valeurs sous-jacentes, généralement partagées par les autres experts en la matière, façonnent notre approche relativement à l’enseignement ; Ces croyances et valeurs sous-jacentes sont souvent implicites et, habituellement, elles ne sont pas transmises directement aux étudiantes et étudiants, et ce, même si elles sont reconnues comme des éléments essentiels dans le processus menant à la formation de « spécialiste » dans un domaine donné ».
Il poursuit en décrivant ainsi les conceptions pédagogiques qui découlent de la posture épistémologique dominante de l’enseignant :
« D’un point de vue pédagogique, une enseignante ou un enseignant s’appuyant principalement sur une perspective objectiviste aura tendance à croire qu’il faut présenter un certain ensemble de connaissances dans le cadre d’un cours. Ces connaissances peuvent comprendre des faits, des formules, une terminologie, des principes, des théories et autres éléments semblables. La transmission efficace de cet ensemble de connaissances est d’une importance capitale. Les cours magistraux et les manuels doivent faire autorité et être instructifs, organisés et limpides. La responsabilité de l’étudiante ou l’étudiant est de rigoureusement comprendre, reproduire et compléter les connaissances qui lui sont transmises, en demeurant dans le cadre épistémologique défini de la discipline. Les travaux et examens réalisés dans le cadre des cours exigent que les étudiantes et étudiants trouvent les « bonnes réponses » et les justifient.
En contraste avec ce qui précède, une approche constructiviste met l’accent sur la présentation d’un problème aux étudiantes et étudiants. Ceux-ci doivent ensuite choisir comment procéder pour le résoudre. Le niveau d’encadrement du personnel enseignant peut varier considérablement et va des lignes directrices sur la façon de résoudre le problème jusqu’à l’orientation des étudiantes et étudiants vers des sources possibles d’information pour les aider dans leur recherche. Si l’enseignante ou l’enseignant a adopté en outre une approche socioconstructiviste, les étudiantes et étudiants auront probablement à travailler en équipe, à s’aider mutuellement et à comparer entre eux les différentes solutions proposées pour résoudre le problème. Dans un tel contexte, il est permis d’avancer qu’il n’y a peut-être pas qu’une seule « bonne » réponse au problème. Cependant, le groupe pourra considérer, en tenant compte des critères établis, que certaines réponses sont meilleures que d’autres ».
A l’évidence, les pédagogies transmissives issues de l’épistémologie positiviste privilégient la mémorisation à la réflexion, la reproduction identique à la création de solutions nouvelles, la passivité à l’action, la soumission à la rébellion. Elles ne conduisent pas nécessairement à faire des apprenants des « acteurs sociaux conscients et agissants » à l’inverse des pédagogies constructivistes ou socioconstructivistes, qui préfèrent le sens aux contenus, le débat à la pensée unique, la formation par les pairs à la formation par l'expert. Si les premières ont pu, hier, produire des individus bien intégrés dans une société où la conformité était la règle, elles sont moins adaptées aux enjeux d'une société numérique dans laquelle deviennent vitales les compétences de collaboration et de communication, de créativité et de pensée critique, de résolution de problèmes, d’autoformation et d’autonomie, de flexibilité et d’adaptabilité.
Pour conclure, il me semble que toutes les formations d’enseignant ou de formateur devraient comprendre un volet destiné à les aider à interroger leur propre rapport au savoir, a fortiori parce que celui-ci n’est pas toujours conscient, mais qu’il est le fruit de notre histoire et de la manière dont nous avons nous-même été formés.
Source de l'illustration : https://gaiagwada.wordpress.com/2009/08/09/shadock-or-not-shadock/