Note de lecture sur l’ouvrage dirigé par Marie-Christine Llorca
C’est avec beaucoup de curiosité qu’en ce début d’année scolaire, j’ai abordé la lecture de l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Christine Llorca intitulé « Innover en formation avec les multimodalités » paru cette année aux éditions ESF. D’abord parce que la multimodalité en formation est mon sujet de prédilection depuis des années et que j’étais curieux de voir si j’étais à jour « des secrets pour booster vos dispositifs d’apprentissages » que me promettait le sous-titre, et ensuite parce que le pluriel de multimodalitéS m’intriguait : déjà que la multimodalité est difficile à faire comprendre aux néophytes, si maintenant, il y en a plusieurs, alors…
Sur cette question précise du pluriel, je comprends dès les premières pages que l’intention des auteurs est de ne pas considérer la multimodalité uniquement sous l’angle de l’articulation de temps de formation définis par leurs dimensions synchrone/asynchrone, individuel/collectif, présentiel/distantiel mais sous l’angle du dispositif apprenant, pensé en fonction du public spécifique à qui il s’adresse, que l’on peut résumer comme un « ensemble cohérent constitué de ressources, de stratégies, de méthodes et d’acteurs interagissant dans un contexte donné pour atteindre un but », et que l’on peut considérer plus précisément comme l’organisation de quatre paramètres : le lieu (centre de ressources, Tiers lieux, salle active d’apprentissage …), les situations d’apprentissage (apprendre avec d’autres, apprendre seul …), les outils d’apprentissage (les réseaux sociaux, les plates formes, les ordinateurs, le papier-crayon …), les supports d’apprentissage (matériaux divers, vidéos, livres …). Dés lors que l’on compose différemment ces ingrédients, on obtient bien évidemment une multiplicité presque infinie de combinaisons, et donc de dispositifs multimodaux. Voilà pour la démonstration du pluriel.
Toutefois, pour circonscrire un peu cette infinité abyssale de possibles, les auteurs retiennent quatre principes fondateurs, ou plutôt quatre éléments moteurs que l’on retrouve, selon eux, dans tout dispositif multimodal : la composante Mouvement (les échanges, les entrées sorties permanentes, le droit au butinage, la prise en compte du corps dans l’apprentissage…), la composante Ludique (le plaisir, la motivation, la place du jeu dans les dispositifs…), la composante Reliance (aider les bénéficiaires à relier les éléments entre eux), et enfin la composante Emergence (permettre et faciliter l’émergence du sens en respectant les rythmes de chacun). En filigrane, cela dresse la feuille de route d’un formateur qui est à la fois un architecte de la situation d’apprentissage (ce sur quoi je ne peux qu’être en phase : voir notamment mon article intitulé l'architecte pédagogique : une nouvelle figure du formateur) et un « entraineur/accompagnateur/ludo-acteur/facilitateur ». Tout un programme !
Vient ensuite un chapitre consacré à rechercher quelques fondements théoriques à la multimodalité : d’une part une filiation quasi naturelle avec la notion d’apprenance développée par Philippe Carré[1], d’autre part, moins naturellement mais non moins efficacement, avec les apports des neurosciences, convoquées ici pour justifier le recours à la multimodalité. On y retrouve bien sûr les quatre incontournables piliers de l’apprentissage de Stanislas Dehaene[2] (l’attention, l’engagement actif, le retour d’information, la consolidation) auxquels on ajoutera la place des émotions, l'importance du mouvement et la question des différences dans les styles d’apprentissage. Mais l’argument clé est celui de la singularité du cerveau qui plaide, selon les auteurs, en faveur de la proposition de différents types de modalités formatives pour permettre à chacun de choisir celle qui lui convient le mieux : « notre cerveau étant multimodal par nature, il est donc logique de chercher du côté de la multimodalité pour créer des expériences apprenantes optimales ». On frôle ici le biais de confirmation, mais passons…
Le voyage se poursuit au travers de la découverte de différents dispositifs apprenants. La plume est alors donnée à différents contributeurs qui vont tour à tour explorer six dimensions de l’action de formation, en proposant récits d’expériences, fondamentaux théoriques et conseils méthodologiques pour le transfert. Ces six thèmes sont les suivants : l’aménagement des espaces, le mouvement, le design et la ludification, la question des traces de l’apprentissage, l’intégration du numérique pour diversifier, la question de la « réparation » pour les publics en difficulté. Cette diversité d’écriture est plaisante, d’autant plus qu’on sent que les auteurs n’ont pas été dans une écriture solitaire, mais qu’ils ont confronté leurs points de vue pour aboutir à une présentation cohérente et congruente sans pour autant effacer les singularités. Bref, une réelle production collective, et on ne peut que saluer ici la cohérence entre le fonds et la forme ! Certaines contributions m’ont convaincu plus que d’autres, certaines m’ont semblé relever davantage de l’innovation que de la multimodalité, d’autres m’ont réellement amusé (Charlie et la Bonbonnerie notamment). Pour ma part, je n'ai pas découvert de « secrets » dont j’ignorais jusqu’alors l’existence, mais j’ai apprécié être guidé dans ma relecture des fondamentaux de la multimodalité.
La dernière partie consacrée à l’ouverture est un peu courte, elle ne fait que reprendre quelques points de vigilance développés tout au long de l’ouvrage et illustrer les propos par la description d’un dispositif de formation de formateurs qui tente d’intégrer les différents éléments évoqués précédemment. Mais peu importe : c’est un ouvrage que je recommande à tous ceux qui souhaitent réinterroger leurs pratiques de formation pour les adapter aux enjeux sociétaux actuels et que j’utiliserais lors de mes interventions auprès d’équipes pédagogiques.