Élaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté, l’action « Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne-Franche-Comté » portée par Emfor Bourgogne-Franche-Comté a pour ambition d’accompagner le développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en région. Cette action bénéficie des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC)
Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne Franche Comté
Chemins de praticiens
Épisode 2 - Rencontre avec Stéphanie HAINZ, formatrice à l'EPIDE de VELET
Un mercredi à la campagne
J’aime bien voyager en train. Je me mets dans le sens de la marche, près de la fenêtre et je saisis des fractions d’intimité : ici un petit jardin bien entretenu devant une maison coquette, là une bâtisse qui mériterait un coup de peinture, là encore un ferrailleur qui ferait bien de ranger sa cour ! Un peu plus loin, une usine désaffectée, un centre commercial, un marchand de bières, des routes avec des gens dessus. Des ronds-points, des passages à niveaux, des chemins de halage, une péniche ou deux parfois. Sur quelques fractions de seconde je m’imagine des histoires : ce pêcheur qui rentrera bredouille mais tout de même content de son jour de congé ; cette vieille dame avec son caddie qui vient de faire ses emplettes de la journée pour le plaisir de voir du monde ; ces enfants turbulents qu’un professeur emmène au stade de foot.
C’est dire combien j’ai été comblé lorsque je me suis rendu à Etang-sur-Arroux, à la rencontre de Stéphanie Hainz, sur son lieu de travail. Rien que le nom de la ville est une invitation à la poésie. Qui diable a eu l’idée d’installer un centre de formation à cet endroit, certes charmant mais quelque peu excentré ? En arrivant à la gare, dont le charme désuet m’a rappelé certains romans de Simenon, Stéphanie m’attendait, polo rouge, pantalon et pull bleu portant le logo de l’EPIDE. Je n’ai prêté attention à sa tenue qu’en entrant dans son établissement, lorsque je me suis aperçu que tous, encadrants comme jeunes, portaient la même tenue. Et oui, l’EPIDE est une émanation du Ministère de la Défense, et la dimension militaire est affirmée : la tenue vestimentaire unique pour tous, le garde-à-vous, la levée des couleurs le matin, la marche au pas, la Marseillaise… font partie de l'offre de service.
L’EPIDE de Velet (précisément situé à Etang-sur-Arroux) partage ses locaux avec un lycée forestier et un CFPPA. C’est le plus petit des vingt centres EPIDE répartis sur le territoire national. Créé en 2005 par Michèle Alliot-Marie et Jean-Louis Borloo, alors respectivement ministre de la Défense et ministre du Travail et de la Cohésion Sociale, l’EPIDE (Établissement Pour l'Insertion Dans l'Emploi) est un établissement public administratif, financé par le ministère chargé de l’Emploi et le ministère chargé de la Ville, ainsi que par le Fonds Social Européen (FSE). Construit sur le modèle du Service Militaire Adapté (SMA) des DOM-TOM, il s’agit d’un dispositif gratuit et rémunéré qui accueille en internat, des jeunes de 17 à 25 ans en grande difficulté, ceux que l’on regroupe désormais sous le vocable de NEET (Not in Education, Employment or Training) qui peuvent cumuler plusieurs difficultés : sociale, scolaire, non maitrise de la langue française, troubles dys.
L'EPIDE de VELET accueille donc soixante volontaires à l’insertion - c’est ainsi qu’on les nomme – venant de toute la Bourgogne, sur une durée de huit mois renouvelables, pour un accompagnement à temps plein et en internat (du lundi au vendredi), avec pour finalité de les aider à trouver un travail. En contrepartie de leur engagement, ils sont logés, nourris, vêtus et ils touchent une rémunération de 520 €, dont 60 € versés à leur départ en cas de sortie positive, travail ou retour en formation. Ils sont encadrés par des Conseillers en Insertion Professionnelle (un pour trente), des Conseillers en Éducation et en Citoyenneté (un pour quinze), des moniteurs pour l’encadrement de la vie sociale et des formateurs pour les remises à niveau. En tout, une équipe de vingt-sept personnes, ce qui représente un encadrement assez conséquent (ratio de 40 % de taux d'encadrement). C’est une équipe stable de personnels contractuels (CDD de 2 fois 3 ans qui a évolué fin 2022 en CDI), avec peu de turn-over ; toutes les personnes sont présentes à temps plein, les formateurs devant réaliser plus ou moins vingt heures de face à face pédagogique par semaine.
Stéphanie
Pour la première partie de notre rencontre, Stéphanie me propose une visite guidée des locaux de l’EPIDE. Hormis l’uniforme, qui reste toutefois fort discret, rien à première vue ne diffère l’EPIDE d’un centre de formation classique : des salles de classe, des salles informatiques, une salle pour préparer le code de la route, des bureaux, une infirmerie, une salle de repos pour les intervenants. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la tenue vestimentaire imposée n’a pas pour vocation première de masquer les différences sociales mais répond à une problématique financière : nombre de jeunes accueillis n’ont tout simplement pas suffisamment d’argent pour se vêtir correctement. Par les fenêtres, on apercoit une étendue de plaines, avec au loin le Mont Beuvray qui apporte une forme de sérénité à ceux qui, comme moi, aiment la campagne. J’ai rencontré lors de ma visite bon nombre d’intervenants avec qui j’ai pu échanger - j’y reviendrais dans un autre article - ainsi que des volontaires. Il règne une ambiance de ruche en activité, somme toute assez agréable. Les visages ne sont pas fermés, les volontaires interpellent les intervenants qui leurs répondent avec bienveillance. Lors de ma visite de l’internat, où les jeunes peuvent se retrouver entre midi et deux, j’aurais même des réminiscences de colonies de vacances. Je suis sincèrement admiratif de la délicatesse avec laquelle Stéphanie s’adressera aux volontaires que l’on croisera tout au long de cette journée : une empathie non feinte, un petit geste amical pour appuyer un propos, un sourire, un encouragement. A un jeune croisé au réfectoire, elle commencera par le complimenter sur sa belle chemise, qui lui sied à ravir, avant de lui rappeler gentiment la nécessité de se conformer à la norme vestimentaire en vigueur. Ici, on semble bien aimer les gens.
Stéphanie me fait également visiter sa propre salle de cours, qui peut accueillir quinze apprenants. Organisée en ilots, et devant prochainement être dotée d’un vidéoprojecteur interactif, elle se prête à l’individualisation. En effet, si Stéphanie propose chaque jour un programme de séance commun à ses quinze apprenants, en mathématiques, français ou culture générale, elle s’adapte aux besoins et au niveau de chacun : « s’il faut six mois pour savoir faire une division, ce n’est pas grave ». Comment se passe cette individualisation ? Suite aux tests de positionnement que les volontaires passent à leur arrivée, les formateurs ont déjà une idée de leurs connaissances et compétences. Il s’agit de tests internes, crées en 2018, de niveau CFG. Le programme que les volontaires doivent suivre est aussi une création de l’EPIDE, il reprend les bases des maths et du français, une partie appliquée au monde professionnel, ainsi qu’une partie sur « apprendre à apprendre » et sur l’ouverture au monde. Stéphanie me détaille sa méthode : « Lors du premier cours, je sais qui sait quoi et donc qui va avancer sans ou avec mon aide. Je repère aussi les volontaires ayant des difficultés cognitives (dys). Chaque volontaire commence avec la même fiche puis va augmenter de niveau à son rythme. Mon rôle dans cette individualisation en groupe est d’accompagner les volontaires en difficulté, répondre à leurs questions, les aider à réapprendre une notion ou à en apprendre une nouvelle. Je surveille leur avancement et je vais aussi vers ceux qui n’osent pas me solliciter de peur d’être moqués par les autres. Je n’ai pas de place fixe, je vais à côté des volontaires, ils peuvent prendre « mon » bureau. J’utilise rarement le tableau lors de ces séances, sauf pour expliquer à un groupe la même notion ou pour qu’un volontaire prenne du recul sur son travail ou encore pour demander au groupe de m’aider à expliquer une notion à un ou plusieurs volontaires. Lors des séances collectives d’ouverture sur le monde, je présente un thème, choisi par moi ou proposé par un ou des volontaires. Pour chaque thème, j’organise une séance de brainstorming, tout est noté au tableau puis j’élimine les réponses qui ne sont pas dans le thème, je souligne les erreurs et je pars sur les bonnes réponses en les reliant aux erreurs. Pour chaque thème que je choisis, j’utilise un diaporama, un documentaire, un film ou parfois les trois ».
Elle s’adapte également aux besoins de chacun : par exemple, un volontaire qui souhaite passer le concours de gendarme adjoint volontaire avec une épreuve de culture générale aura une thématique qui colle au programme de cette épreuve et le groupe travaillera alors sur la même notion.
Elle n’hésite pas non plus à modifier le programme qu’elle s’était fixé pour prendre en compte l’ambiance du groupe, les aléas des soucis rencontrés à l’internat, les opportunités qui se présentent, les questions même incongrues qui peuvent survenir et qui sont autant d’occasions d’apprendre : «mais Madame, comment se forme un arc en ciel ?» Elle donne l’exemple de deux volontaires très intéressés par l’espace, dont le groupe est progressivement devenu incollable sur l’univers, la conquête spatiale, Pluton… au rythme des documentaires qu’elle trouvait pour alimenter cet intérêt. De ce fait, dit-elle, « ma collection de documentaires, de diaporamas est très hétérogène ! »
Cette pédagogie est de son point de vue à l’opposé de ce qui se passe en formation initiale où l’on prend peu en compte les besoins particuliers, les troubles cognitifs, et où le programme doit être suivi à la lettre, que les élèves suivent ou non « Je ne suis pas là pour sortir des cours dont les élèves n’auront rien à faire. Je peux prendre en compte leur rythme, leurs proposer de sortir prendre l’air s’ils en ont besoin, m’adapter pour ne pas ennuyer, leur proposer de choisir leur espace de travail, diversifier les activités et les supports d’apprentissage ».
Un cheminement progressif vers le métier de formatrice
Après cette visite, j’avais hâte d’entendre Stéphanie me parler de son propre parcours.
Depuis toute petite, me dit-elle, elle a toujours rêvé d’être enseignante, plus précisément professeur d’histoire-géographie. Étant une enfant peu sociable, l’entrée à l’école a été très difficile pour elle : « J’ai passé une première année de maternelle à pleurer, scotchée à la maîtresse ! Je ne voulais pas être avec les autres et encore moins parler ! Par contre, tout ce temps passé à côté de cette maîtresse (et pas loin des autres !) a dû orienter mon choix professionnel ».
Le choix d’être prof d’histoire-géographie vient d’une passion pour l’histoire qu’elle a développé au CM1-CM2 : 1989 avec le bicentenaire de la Révolution, « les programmes et les festivités organisées autour de l’évènement m’ont plu et j’ai beaucoup demandé des livres d’histoire après ça ! »
D’où le parcours classique pour arriver à ses fins : fac d’histoire puis fac de géographie, avec pour visée le CAPES. Six années en tout, un peu en dilettante, sans grande conviction, et au bout du compte une maladie assez longue et handicapante, qui la cloue au lit et la contraint à arrêter ses études « au grand dam de ses parents », sans obtenir le précieux sésame vers l’enseignement initial. S’ensuit une période de chômage et de petits boulots, et « en trainant sur internet », la découverte de la licence pro Formation de l’université de Dijon/Agrosup à laquelle elle s’inscrit en 2006, avec l’option illettrisme et apprentissage des savoirs de base. « C’est, dit-elle, la seule année de fac qui me sera utile, car faire une licence générale, cela n’apporte rien. Si je l’avais faite avant le CAPES cela m’aurait beaucoup servi ». Dans le même temps une première expérience en tant que formatrice d’histoire-géographie dans un grand CFA de la région, qui lui laissera un gout amer : « on m’a lâchée face à un groupe d’apprentis sans m’aider et sans m’expliquer qu’il s’agissait de personnes en grande difficulté. J’avais le sentiment d’être un numéro, il fallait faire du chiffre : que le cours se passe bien ou pas, cela ne semblait pas avoir d’importance ». Sa deuxième expérience a été plus positive : un CFA plus petit où tout le monde se connait, un véritable encadrement de la part du responsable pédagogique, des jeunes moins nombreux, des similitudes avec la pédagogie des SEGPA qu’elle a expérimenté lors du CAPES. Bref, le sentiment d’être à sa place. Elle évoque également son stage au cours de la Licence pro dans un centre de lutte contre l’illettrisme. Ses yeux pétillent lorsqu’elle parle de ce monsieur victime d’un AVC qui a appris à reprogrammer sa machine à l’usine avec l’aide de son tuteur ou de cette dame analphabète capable de passer son code en retenant tout par cœur, très soucieuse que ses propres enfants réussissent à l’école, « elle qui n’a pas eu cette chance ».
Stéphanie analyse très bien ce que lui a apporté la licence pro par rapport à la licence générale et met en particulier l’accent sur le stage en milieu professionnel. « En licence générale, j’ai fait deux stages d’une semaine (un en collège, un en lycée) parce que je souhaitais m’orienter dans l’enseignement. En licence pro, un stage de sept mois, pour ce qui me concerne dans une structure de lutte contre l’illettrisme. On a donc en licence pro les deux versants : le monde professionnel et les cours théoriques qui « collent » au monde professionnel. Mes expériences professionnelles sont un bon exemple de cette différence. Lorsque je suis arrivée devant des classes de lycée préparation au CAPES et CAPLP et des classes de CFA (CAP, BEP et Bac Professionnel), je n’avais pas de méthode. J’ai essayé de préparer des cours et de les présenter du mieux que je pouvais, croisant les doigts pour que les terminales ne tombent pas sur la partie vue pendant le remplacement. Je savais répondre à une annonce et passer un entretien, mais je n’étais pas prête à prendre une classe ! Lorsque j’ai eu des difficultés avec une classe de CAP dans un CFA, et que j’ai demandé à l’un des enseignants pourquoi les élèves semblaient avoir des difficultés avec la lecture de texte, il m’a répondu que j’étais trop jeune et qu’ils en profitaient pour se moquer de moi et ne pas travailler. J’ai alors essayé de comprendre en interrogeant les élèves sur leurs difficultés à lire un texte pourtant simple de niveau CE et j’ai découvert : que l’un n’avait pas été scolarisé en France, qu’un autre avait été scolarisé en pointillé car faisant partie de la communauté des gens du voyage, que deux autres enfin avaient toujours eu des difficultés à l’école. Donc, je n’étais pas au courant de leurs histoires, je partais du principe que tout élève sortant du CM2 sait lire, écrire et compter et je me disais que je ne savais pas gérer ce type d’élèves ; comment alors allais-je pouvoir les amener à passer le CAP à la fin de l’année scolaire ?
En licence pro en revanche, j’ai eu des intervenants professionnels : un orthophoniste pour apprendre à détecter les dys et adapter nos cours, un neuropsychologue pour l’apprentissage de la lecture, un professionnel de la lutte contre l'illettrisme… Des professionnels qui se sont adaptés à nos niveaux, nos questions et qui ont su lever toutes mes interrogations : les élèves en difficulté sont plus nombreux qu’on ne le croit, il est possible de les aider de différentes manières, et il existe des supports adaptés.
En résumé en licence générale, je voulais « devenir prof », en licence pro formateur je voulais aider des élèves en difficulté. Ma motivation, les finalités même du métier n’étaient plus les mêmes ! »
En septembre 2007, viendra ensuite l’EPIDE, là encore suite à une opportunité à saisir rapidement : elle qui cherchait un CDI et qui rêvait de quitter la région, la voici engagée pour un CDD de trois ans dans le Morvan, dans un tout jeune centre qui prenait son envol. Elle commence comme formatrice de maths, bien loin donc de l’histoire géographie, et prendra ensuite en charge le français et la culture générale. Trois ans qui, à ce jour, se montent à quinze.
Ce travail correspond aux attentes qu’elle avait à l’entrée de la licence pro : faire en sorte que des jeunes en difficulté, qui ont été en échec scolaire pour certains, progressent, qu’ils arrivent à surmonter leurs difficultés, à contourner leurs dys., et qu’ils apprennent au moins « une nouvelle chose par jour ».
En quinze ans, grâce aux différentes Directions qu’elle a connues, elle a pu « mûrir en tant que formatrice », puis sortir de sa zone de confort en prenant en charge d’autres missions et prendre davantage confiance en elle. Mais même si ces autres missions lui plaisent, elle préfère être en face des volontaires et n'est pas prête à basculer à 100 % sur des fonctions plus administratives.
Elle continue de se professionnaliser grâce au catalogue de formation interne de l’EPIDE, aux formations proposées par Emfor, sur l’illettrisme, le Français Langue Étrangère et le Français Langue Seconde, et enfin sur les Ateliers de Raisonnement Logique, qui l’ont passionnée : Stéphanie aime comprendre ce qui se passe dans la tête des gens, pourquoi telle chose réussit et telle autre non, comment débloquer des situations d’apprentissage inextricables, autrement dit « comment faire marcher les neurones ».
Être formateur, c’est dit-elle « la chance d’apprendre chaque jour au moins une nouvelle chose de la part du public en face de moi. C’est aussi la chance de ne jamais faire la même chose d’une personne à une autre. C’est un métier où l’on ne s’ennuie jamais et qui nous pousse à nous renouveler sans cesse ». Ce qui lui plait ? voir un jeune évoluer au fil des mois : « Chaque petite victoire, même les plus simples, me donne envie de continuer, et même si les volontaires ne sont pas toujours dans de bonnes dispositions, on n’oublie vite cette partie négative ! »