Élaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté, l’action « Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne-Franche-Comté » portée par Emfor Bourgogne-Franche-Comté a pour ambition d’accompagner le développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en région. Cette action bénéficie des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC)
Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne Franche Comté
Chemins de praticiens
Épisode 3 - Rencontre avec Nicolas Bourguignon
Nicolas, formateur multi casquettes
Ai-je déjà eu l’occasion de vous le dire ? J’aime les voyages en train. Cela me donne le temps de me préparer à la rencontre à venir, de cheminer doucement vers mon interlocuteur, en rêvassant et me vidant l’esprit. C’est pourquoi je me faisais une joie d’aller en train à Besançon à la rencontre de Nicolas Bourguignon, mais ce projet a été perturbé par une grève SNCF, sans doute légitime (bien qu’un peu contrariante) qui nous a contraint à transformer une rencontre in situ en deux séances en visioconférence.
Nicolas Bourguignon est un homme fort occupé mais qui a su cependant prendre le temps de se poser pour deux temps d’échange riches et passionnants. La diversité de son activité professionnelle actuelle est impressionnante : Directeur du SIFCO (Structure de formation de plus de 120 intervenants), Président du club APM de Besançon (Association Progrès du Management), consultant en management en autoentreprise, consultant en théâtre d’entreprise, artiste-clown, improvisateur, père de famille et … formateur. Un formateur multi casquettes, donc !
Son parcours l’est tout autant : Bac en poche, Nicolas opte tout d’abord, un peu par défaut et sans trop être sûr de son choix professionnel, vers des études en management qu’il mène jusqu’à l’obtention d’un DESS Ressources Humaines Gestion des personnels de la Fonction Publique Hospitalière et d’Etat. A la sortie de ces études, après quelques stages auprès de collectivités l’ayant peu convaincu d’un avenir radieux dans ce secteur d’activités, il effectue son service national civil auprès des Harkis, à la préfecture du Doubs. Vient alors une période de recherche d’emploi, où se pose sérieusement la question de son orientation. C’est une conseillère de l’APEC, « qu’il a eu la chance de rencontrer et avec qui il a sympathisé » qui lui suggère de rencontrer la responsable d’un centre de formation pour cadres et dirigeants qui l’embauche en tant que conseiller commercial. Lui qui n’a aucune expérience de la formation, ni du monde de l’entreprise, ni même encore des techniques de vente, le voilà embarqué pour aller promouvoir une offre de formation auprès des entreprises. Un premier pas dans le monde de la formation, qu’il ne quittera plus. Cette opportunité, il la doit selon lui à son profil atypique, ainsi qu’à des valeurs partagées avec sa future employeur : une certaine conception de la valeur travail, de la famille et du patriarcat, et du mérite de celui « qui se fait soi-même ».
Sept ans plus tard, après avoir fait ses preuves et pris du galon en devenant responsable régional, il quitte cette structure pour devenir responsable de la formation continue à la CCI du Doubs où il gère une équipe de dix personnes et où il développe l’activité de formation. Mais peut-on diriger une équipe de formateurs sans connaitre et avoir expérimenté soi-même ce métier ? Pas aux yeux de Nicolas sans doute, qui, mû également par une certaine curiosité, décide de devenir formateur, en plus de son activité de dirigeant ; tout d’abord en coanimation puis en animation solo sur ses thèmes de prédilection que sont le management, le leadership, la communication managériale. Parcours à rebours en fait, ou à tout le moins atypique là encore ; alors que nombre de formateurs aspirent à prendre des responsabilités en devenant responsable de formation puis dirigeant d’organismes, rares sont les cadres qui choisissent de se confronter volontairement à la réalité du métier de formateur.
2005 sera une année charnière dans la trajectoire professionnelle de Nicolas. En effet, il a d’autres cordes à son arc dans sa sphère personnelle : il fait depuis plusieurs années et à titre privé de l’improvisation théâtrale et de l’art clownesque. Il profite alors d’une formation à Paris sur la stratégie d’entreprise pour faire en parallèle une formation de clown-théâtre « Formation cerveau gauche-formation cerveau droit » précise-t-il avec humour. C’est l’amorce d’une diversification grandissante, qui le conduit à occuper en même temps et jusqu’à ce jour un poste de dirigeant de structure au sein de laquelle il est lui-même formateur, une activité d’autoentreprise de coaching et de formation au management, une activité d’animateur d’atelier clownesque, la présidence d’une association « théâtre et management », une activité de formation à l’école du management et une activité artistique de one-man-show. C’est aussi une période où cette activité foisonnante s’accompagne de formations pour lui-même, tant sur les techniques de management que sur les techniques théâtrales, et il poursuivra jusqu’à ce jour ce processus de formation permanente.
En 2009 enfin, il est chargé par la CCI de créer l’entreprise SIFCO, issue de l’externalisation des services formations de la CCI, qui intègre un centre de formation situé à Belfort, deux en Haute Saône et plus récemment un centre dans le Jura. Cette entreprise compte quatorze salariés à temps plein, environ cent-vingt intervenants vacataires et réalise près de deux millions de chiffres d’affaires sur une offre de formation majoritairement tournée vers l’entreprise.
Hormis dans ses activités artistiques, sa trajectoire professionnelle et les différents lieux d’exercices qu’il a fréquenté sont résolument tournés vers la formation des salariés, et il se sent peu intéressé par la formation des jeunes et des demandeurs d’emplois. C’est un choix assumé, qui prend sans doute sa source dans son origine familiale, la nécessité de se débrouiller très tôt dans la vie le poussant spontanément vers le monde de l’entreprise. Issu d’une famille rurale de huit enfants, son père puis plusieurs de ses frères exploitent une entreprise agricole, et le travail est une valeur qui le porte fortement, comme le montre notamment son emploi du temps chargé.
De son point de vue, les passages de l’un à l’autre des « mondes » de la formation sont cependant possibles. Dans son rôle de dirigeant d’organismes de formation, il rencontre souvent des formateurs qui évoluent dans leurs postures professionnelles, qui passent par exemple du monde de l’entreprise à celui du coaching car les valeurs qu’ils mettent derrière leur travail ont évolué. Est-ce pour autant le même métier ? oui et non : s’adresser à des publics salariés ou des publics jeunes, demandeurs d’emploi, en situation de prétraité ou d’illettrisme, demande de maitriser une base de techniques et de méthodes pédagogiques communes mais aussi des approches et des techniques particulières en fonction du profil des bénéficiaires et des attendus de la formation ; en clair, il faut s’adapter au public à qui on s’adresse, aux objectifs poursuivis, aux contenus et on peut réellement parler de métiers (au pluriel) de la formation.
Il suggère également une autre segmentation du marché, en distinguant les formateurs salariés des formateurs indépendants, ces derniers ayant davantage que les premiers l’impérative nécessité de faire évoluer en permanence leurs compétences pour rester compétitifs. Cette évolution doit prendre en compte les nouvelles attentes des publics (notamment les moins de trente ans, demandeurs de plus de cas pratiques, de technicités, d’innovation, de réactivité…) mais également des évolutions sociétales. La crise sanitaire du COVID a été un révélateur de ces différences dans les aptitudes au changement et à l’adaptabilité, que ce soit pour les formateurs salariés ou pour les indépendants. Ces besoins d’évolution sont aussi différents en fonction de la matière enseignée, certaines incitant davantage que d’autres aux évolutions parce que la matière elle-même évolue en permanence. Il faut par exemple être très réactif et s’adapter aux besoins de l’entreprise, ce qui se fait plus difficilement dans les systèmes formels, tels que le système scolaire traditionnel ; en effet, les techniques enseignées à l’école sont souvent obsolètes face aux évolutions technologiques rapide du monde de l’entreprise.
Nicolas ne se reconnait pas dans le vocable de « formateur » mais se définit plutôt comme un accompagnateur de développement des compétences : « je n’aime pas le mot formateur. Il renvoie au financement de la formation et est très restrictif. J’estime que dans mon rôle et posture, j’accompagne les individus dans leur développement, leur prise de conscience. Bien entendu j’apporte du contenu mais pas uniquement. Je suis à la fois formateur, consultant, accompagnateur, coach, animateur codev, bref, je dois maitriser de nombreuses techniques et avoir une posture basse ». Sans nul doute, la diversité de sa palette d‘activités, professionnelles et extraprofessionnels, contribue à faire de lui un formateur singulier et original dans son approche.
Il emploie le terme de « posture basse » du formateur pour exprimer le fait qu’il n‘est pas le « sachant » s’adressant à des « non-sachants ». Lorsqu’il intervient en entreprise, il enseigne ce qu’il fait, puisqu’il est lui-même manager, en considérant et en affirmant au groupe que les participants ont, de son point de vue, autant de savoirs accumulés qu’il n’en a lui-même. Son rôle n’est donc pas d’apporter des savoirs, mais de les aider à réfléchir, grâce à des méthodes pédagogiques qu’il a mis en place avec l’expérience. Il ne s’appuie pas sur une théorie particulière, mais il est plutôt touche à tout : Expérience, apport de connaissance, découverte… les méthodes sont multiples et complémentaires et les technologies permettent aujourd’hui d’entrer différemment dans la pédagogie. En tant que formateur on peut donc faire feu de tout bois pour s’adapter aux personnes qui sont en face de nous. En outre, toutes les expériences formatives peuvent se cumuler dans une optique de formation tout au long de la vie : une personne peut venir en formation présentielle traditionnelle, puis expérimenter avec des jeux, puis acquérir de l’expérience, puis entrer en entreprise et suivre un programme d’insertion avec un mentor, etc.
Sa principale caractéristique en tant que formateur reste toutefois d’être un « faiseur de pas de côté ». Commencer une formation au management par une vidéo humoristique, ou un brise-glace original (ce qui suppose d'être systématiquement là avant les stagiaires) est pour lui monnaie courante. Il aime davantage utiliser ce que racontent les histoires, les films, les séries, les légendes … que la vie des grands managers de ce siècle ou les théories dont certaines, d’ailleurs, ne sont pas adaptées à notre contexte national. Il utilise surtout deux techniques un peu iconoclastes, le théâtre et l'art clownesque et les Legos.
Le travail autour du clown et du théâtre a été pour lui, formateur en devenir, un outil de développement personnel : lutter contre sa timidité, se découvrir, se développer, développer son aisance à l’oral. Mais le formateur est aussi quelqu’un qui se met en scène et qui met en scène le groupe : le clown, l’humour permettent d’alléger des contenus qui sont parfois lourds « le clown, c’est aussi le lâcher-prise ». Le recours au théâtre en formation est également un exercice qui permet de mettre en évidence, par un exercice simple ce qui se passe dans l’entreprise ou dans la tête des gens, dans les relations humaines : « Dans mes formations, je peux être amené à jouer, et recréer un personnage ; par exemple, un manager me décrit les relations difficiles avec son collaborateur, j’interprète ce collaborateur, je le mets en scène de façon vivante et on analyse ensuite ce qui se passe réellement entre le manager et son collaborateur». Avec le théâtre d’entreprise on peut également créer des saynètes théâtralisées, mettre en scène des situations pour faire prendre conscience des problématiques.
Avec les Legos, on est sur un autre type d’exercices créatifs : utiliser les mains et une partie du cerveau pour créer des modèles de manière intuitive, partager une vision. Par exemple, « construire la meilleure tour », « décrivez votre fonction », « qu’est-ce que la qualité ». Les participants expriment eux même leurs visions, puis les confrontent et construisent progressivement une vision partagée. On peut ensuite construire des liens, et le travail de l’animateur est de les aider à interpréter leurs créations, dans un esprit créatif et collectif. Ce genre d’animation demande beaucoup de préparations en amont, et il faut également vérifier que les personnes ne soient pas réticentes : certaines sont plus réceptives que d’autres à ce type d’animation. C’est pourquoi Nicolas évoque souvent le concept de « cerveau droit-cerveau gauche » et pratique aussi les tests de personnalité qui permettent de mieux connaitre les apprenants : «Ce qui est essentiel est de connaitre les personnes à qui je vais avoir affaire ».
Pour lui, tout est affaire de préparation en amont et de qualité de l’animation : « Je parle beaucoup d’improvisation, mais je n’improvise jamais rien : j’envisage en amont toutes les solutions qui me permettront de ne pas être pris au dépourvu, et je suis très attentif à tout ce qui se passe dans mon environnement lorsque j’anime ; il faut être ouvert et être extrêmement vigilant aux signaux faibles et signaux forts ; bien préparer en amont et bien savoir gérer les groupes, c’est essentiel ! ».
Dans toute technique, que ce soit les Legos, le théâtre ou la présentation classique de contenus, c’est la qualité du formateur qui fait la différence : un beau Powerpoint peut cacher un formateur médiocre, mais pas très longtemps : la qualité pédagogique, c’est la partie immergée de l’iceberg !