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Élaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté, l’action « Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne-Franche-Comté » portée par Emfor Bourgogne-Franche-Comté a pour ambition d’accompagner le développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en région. Cette action bénéficie des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC)

 

Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne Franche Comté 

Chemins de praticiens

Épisode 6 - Rencontre avec Morgane DUSSEUX

Formatrice au Greta Jura 

Portraits et autoportraits - Episode 6

Le Greta-CFA du Jura

Qui ne connait pas les Greta ? Nés quelques temps après la loi fondatrice du 16 juillet 1971 sur «l'organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l'éducation permanente», les Greta représentent la branche formation continue de l’Éducation Nationale. Un Greta est un GRoupement d’ETAblissements publics locaux d’enseignement mettant en commun leurs ressources pour exercer une mission de formation continue dans le cadre de la formation tout au long de la vie, et il est présidé par un chef d'établissement membre du groupement. Le 1er janvier 2020, en application de la loi du 5 septembre 2018 « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel », les Greta se sont transformés en Greta-CFA.

Les Greta-CFA se développent la plupart du temps dans le giron des établissements scolaires, et le site de Dole du Greta-CFA du Jura, où je suis allé à la rencontre de Morgane Dusseux, n’échappe pas à la règle. Situé en contrebas du lycée polyvalent Jacques Duhamel, celui-ci semble le dominer de toute sa masse imposante et de son ombre tutélaire. Toutefois, l’avantage pour ce Greta est d’occuper des locaux qui lui sont propres, ce qui évite aux stagiaires qui le fréquentent de ressentir trop fortement une ambiance scolaire qui pourrait leur rappeler de mauvais souvenirs. Car ce sont, bien évidemment des adultes qui sont accueillis ici, salariés ou demandeurs d’emploi qui intègrent les différents dispositifs proposés par le Greta, dans le cadre de financements Région, Pôle emploi, entreprises et même individuels via le CPF ; par exemple le DAQ (Dispositif en Amont de la Qualification), les actions qualifiantes telles que le Titre Pro Agent de restauration ou le CAP Agents de réseaux, des formations plus courtes telles que le SST.

Le bâtiment est composé de plusieurs salles, assez exiguës, mais qui présentent un agencement qui rompt avec le modèle classique : des tables au centre où les personnes se font face, des ordinateurs tout autour, un bureau du formateur avec un vidéoprojecteur au plafond, un gros ballon pour les personnes souffrant de mal de dos, quelques documentations. L’entrée débouche sur une salle de détente, où à mon arrivée conversaient quelques personnes dont j’ai été bien en peine d’identifier s’ils étaient formateurs ou stagiaires, ce qui est plutôt de bon augure. Enfin, quelques bureaux permettent de réaliser des entretiens individuels, et au fond une salle un peu mieux équipée est notamment utilisée comme plateau technique pour les formations « agents de sécurité».

Il n’y a pas d’équipe fixe dans chaque site ; les intervenants permanents peuvent être amenés à travailler dans différents sites, et d’autres types de professionnels (vacataires, autoentrepreneurs ou enseignants) interviennent aussi en fonction des besoins et des contrats signés avec les différents financeurs. Cette diversité semble être un atout car chacun peut s’enrichir de la pratique de l’autre. Cependant, un noyau dur s’est créé autour du dispositif DAQ, qui occupe une place centrale sur le site de Dole, et ce noyau dur, dont fait partie Morgane, a progressivement mis en œuvre une dynamique pédagogique singulière qu’il me tarde de vous narrer.

 

Le DAQ 2.0

Parlons donc un peu du DAQ : après une première campagne de quatre ans, la Région a renouvelé son appel à projet en 2020 sous l’intitulé DAQ 2.0. Il s’agit de proposer à des personnes éloignées de l’emploi une opportunité de découvrir de nouveaux métiers, de s’y tester pour conforter leurs choix et d’acquérir les prérequis nécessaires à une entrée en formation voire directement dans le monde du travail. Il s’agit d’actions montées avec des partenariats locaux, ici en l’occurrence l’INFA (porteur du dispositif), le Greta et la Chambre des Métiers. Chaque personne dispose d’un maximum de 750 heures, qui peuvent être utilisées en plusieurs fois, et le dispositif comporte deux parties : la première intitulée ACC (Accueil Consolidation Construction) est organisée par la Chambre des Métiers ; il s’agit de concevoir un projet personnel. La seconde est intitulée PRG (Pré-Requis Généraux), elle se déroule à l’INFA ou au Greta et elle comprend plusieurs ingrédients : des plateaux techniques pour découvrir les métiers, effectuer concrètement des tâches liées à ces métiers et commencer à se professionnaliser ; jusqu’à six semaines de stage (en une ou plusieurs fois) ; un accompagnement sur le développement des compétences de base ; un suivi renforcé sur le projet d’insertion avec un conseiller en insertion professionnelle dénommé ici « référent accompagnateur ».

Mais quelle est la singularité de cette formatrice du Greta-CFA de Dole dans l'animation de ce dispositif ? On peut faire confiance à Morgane, qui y intervient en mathématiques, français et bureautique, pour nous le faire comprendre avec un enthousiasme communicatif.  Ici, les maitres mots sont « individualisation » et « autonomie ». En effet, même si des groupes d’une quinzaine de stagiaires sont constitués, ceux-ci sont fluctuants puisqu’en entrées-sorties permanentes. Durant son temps de présence (31,50 heures) chacun travaille sur son projet : Allan par exemple, qui veut devenir chauffeur de taxi, prépare ses tests d’entrée pour entrer en formation taxi ; Béatrice, qui souhaite entrer en formation comptabilité, se perfectionnera essentiellement sur Excel. Au sein de la salle de classe, chacun vaque à ses occupations, organise comme il l’entend son apprentissage, entre ou sort à sa guise lorsque le besoin d’une pause, d’un café, d’un bol d’air… se fait sentir. « Au début, dit Morgane, les gens pensent que c’est comme à l’école, qu’ils vont devoir étudier sept heures d’affilée. Peu à peu, ils s’aperçoivent que ça ne fonctionne pas comme ça, qu’il faut respecter son rythme d’apprentissage, que le temps de concentration est limité, qu’il faut parfois savoir changer d’activité lorsque le cerveau sature. Même si on pose un cadre, chacun est libre et autonome. On ne les considère pas comme des enfants mais comme des adultes responsables qui travaillent pour eux et pas pour nous. Le groupe est aussi un élément régulateur. Par exemple, si un plus jeune passe trop de temps sur les réseaux sociaux ou sur YouTube, ce sont les autres membres du groupe qui vont lui rappeler qu’il est là pour mener à bien son projet et qu’il ne doit pas perdre de temps ».

Un formateur est toujours présent avec le groupe, mais il n’est pas forcément le spécialiste de la matière traitée par les apprenants. Toutefois, il est à même de proposer à chacun des ressources pour alimenter sa progression :  à partir de la plateforme Moodle du Greta, de dossiers papier proposés par le formateur de la discipline, ou bien encore en les aidant à trouver eux-mêmes leurs ressources sur Internet. Autrement dit, chaque formateur à deux casquettes : il est spécialiste d’une discipline et accompagnateur sur tous les autres domaines. Il nourrit les projets des apprenants en étant dans une dynamique de « côte-à-côte pédagogique » très éloignée de la posture habituelle d’un formateur, ce qui conduit les apprenants à prendre eux-mêmes en main leur apprentissage, bref à s’autoformer !

Au fil du temps, le DAQ est progressivement devenu une sorte de réseau : avec ses collègues Philippe et Pascal, Morgane a lancé en 2019 l’idée d’un suivi post-DAQ sous la forme d’une rencontre informelle autour d’un café un samedi matin dans le bistrot du marché. La première fois, vingt-quatre personnes ont répondu présent. C’est l’occasion de montrer ce qu’ils sont devenus, de témoigner, de se soutenir mutuellement, de s’échanger des tuyaux, des adresses de stage, des offres d’emploi. Ce suivi informel conforte Morgane dans sa conviction que le DAQ a été pour beaucoup la petite marche qui leur a permis de prendre de l’assurance, de monter en compétence, de reprendre confiance en eux, d’apprendre à apprendre et que cette étape a été indispensable pour beaucoup. Une entrée directe en formation ou en emploi n’aurait pas été possible pour la plupart d’entre eux car ils n’étaient pas prêts à ce moment-là. « Nous sommes la béquille ou le tremplin dont ils ont besoin pour avancer. Ils ne s’en rendent pas compte mais bien souvent ils n’auraient pas besoin de nous, c’est juste leur manque de confiance en eux qui les empêche d’avancer. Être le coup de pouce qui les fera avancer est réellement motivant pour nous ».

Morgane intervient par ailleurs au sein de dispositifs qualifiants, notamment dans la filière bâtiment (sur la lecture de plan, l’exploitation de documents techniques, le BIM) ou encore dans la formation des agents de réseaux. Mais même si les cadres sont ici plus formels, voire scolaires, avec un programme à suivre et une logique d’enseignement, elle «importe» toutefois les principes pédagogiques du DAQ dans ces groupes et cela fonctionne : « lorsque l’on prend les personnes au sérieux, on peut les responsabiliser et sortir de la logique descendante ». De toute façon, elle ne pourrait pas être sur un modèle trop scolaire car elle ne s’y sentirait pas à l’aise. Pour le dire autrement, la pratique du DAQ a impacté durablement sa pratique de formatrice, qu’elle a construit sur le tas, en travaillant et en échangeant avec ses collègues et en inventant avec eux le modèle du DAQ tel qu’il est aujourd’hui.

Même si elle reste intéressée pour intervenir dans d’autres actions, qui lui permettent de maintenir sa compétence initiale, c’est le DAQ qui lui apporte le plus de satisfaction dans son métier et qui explique sans doute qu’elle y soit restée depuis cinq ans, elle qui, auparavant, aura eu un parcours un peu plus chaotique, comme nous allons le voir maintenant.

Des expériences, une quête de sens

Originaire des Yvelines, Morgane est née dans une famille modeste, avec un père cuisinier et une mère agent d’entretien, travaillant tous deux en établissements scolaires. Bonne élève, elle suit un cursus classique en filière scientifique puis s’inscrit et obtient un DUT Génie Civil. Major de sa promo, elle est prise en école d’ingénieur à l’INSA de Lyon, sans passer par la prépa. Elle fait partie en effet du « quota social », soit les cinq à dix pour cent d’élèves issus des classes populaires, ceux que Jean-Paul Delahaye, ancien conseiller du Ministre de l’Éducation Nationale, appelle « l’exception consolante » (Exception consolante : un grain de pauvre dans la machine, Editions de la Librairie du Labyrinthe, 2022). Evidemment, dans cette école très élitiste, on lui fait bien sentir sa différence. Dans le cadre de leur cursus, les étudiants doivent présenter un projet transversal, et le sien portera sur l’intégration sociale ; elle fait venir ses parents, qui passent une semaine à l’école, avec l’intention inavouée de leurs montrer ce que c’était et pourquoi elle ne s’y sentait pas à sa place. Mais c’est pour eux une expérience incroyable qu’ils ont adorée. Pari raté !

Ce diplôme d’ingénieur la conduira à travailler dans les tunnels, mais les déplacements dans toute la France lui pèsent. En recherche de stabilité elle suit son compagnon dans le Jura. Mais que faire dans le Jura ? Ce qui était clair, c’est qu’elle ne voulait plus travailler dans le BTP où, sous la pression économique, elle devait aller à l’encontre de ses valeurs : rogner sans cesse sur les prix, faire signer des contrats de travail à des personnes qui ne savaient pas lire par exemple. Elle réalise tout d’abord un de ses rêves d’enfant, devenir bénévole à la SPA où, timide et réservée, elle se crée cependant des relations, par le biais desquelles elle est amenée à travailler dans une banque. Mais elle comprend assez vite qu’elle n’est pas faite non plus pour le commerce, et elle retourne travailler dans son domaine en bureau d’études pour faire du diagnostic d’ouvrages d’art ; pour faire simple, il s’agit d’aller voir des ponts et des tunnels dans toute la France et diagnostiquer les travaux à effectuer. Cela lui convient, pas trop de gros déplacements, surtout quand il fait beau, mais il lui manquait encore quelque chose.

Un autre rêve d’enfant revient alors sur le devant de la scène, celui de devenir Gendarme. Pourquoi l’armée ? Pour elle qui a tendance à partir dans tous les sens, un besoin de rigueur, d’ordre et de discipline, mais aussi pour se sentir utile. Reçue au concours, un problème médical l’empêche toutefois d’aller plus loin, et c’est le retour à la case départ à la SPA, un peu cassée, un peu désorientée. Ses amis la poussent à remonter la pente, et la voilà maintenant en stage en clinique vétérinaire, mais là encore ça ne le fait pas : elle refuse un CDI car elle pense avoir fait le tour du poste, trop routinier à son gout. Retour dans le cabinet d’études, puis elle aide son compagnon à monter sa propre boite, sans toutefois s’y investir pleinement, elle y conserve un poste de consultante pour quelques heures par semaine. Elle cherche autre chose et s’inscrit pour être professeur suppléante en établissement scolaire, et sa demande est acceptée. Dans le même temps elle tombe par hasard sur une annonce du Greta à laquelle elle postule sans trop y croire : « je regardais tout ce qui se présentait, mais cela aurait pu être ça comme autre chose ». Étonnée d’être convoquée, puis d’être retenue, elle pense avec le recul que son profil atypique a été son principal atout. En effet, elle n’avait pas de diplôme de formateur, ce qui l’inquiétait bien un peu au début, mais cela n'a pas joué en sa défaveur. La Conseillère en Formation Continue qui l’a reçue cherchait des collaborateurs capables de s’adapter, et elle avait le flair pour recruter des personnes qui allaient rester. De fait, elle ne s’est pas trompée, car Morgane y est depuis maintenant cinq ans, sa plus longue expérience professionnelle à ce jour !

Elle porte un regard lucide sur son parcours. Inscrite en DUT Génie Civil essentiellement parce qu’elle ne savait pas quoi faire d’autre ; peut-être aurait-elle voulu être vétérinaire mais elle ne croyait pas du tout en elle et ne s’autorisait donc pas à essayer. Inscrite en école d’ingénieur parce qu’elle en avait l’opportunité du fait de ses bons résultats, mais sans que ce soit réellement un choix personnel. Travailler en bureau d’études, ou en banque là aussi parce que l’occasion se présentait. Devenir professeur parce que son diplôme lui ouvrait la voie de l’Éducation Nationale, mais pas par intérêt pour le poste ; de toute façon, elle n’y serait sans doute pas restée plus de six mois car elle n’a aucune affinité avec les moins de dix-huit ans ! Il lui en aura fallu du temps pour se tester, pour chercher sa voie et trouver un métier correspondant à ses valeurs intrinsèques. Pour renoncer aussi à certains rêves, comme celui de devenir gendarme. « Si dès le départ, j’avais trouvé et choisi ce qui m’intéressait, j’aurais fait de belles choses et j’y serais encore : mais je ne regrette rien car cela m’a conduit là où je suis et où je suis bien ».

Ce parcours est sa richesse : mieux que n’aurait pu le faire une formation théorique à la pédagogie des adultes ou aux différents modèles d’apprentissage, ce chemin de vie atypique a incontestablement développé cette capacité d’empathie qui lui permet aujourd’hui de comprendre les difficultés des personnes à qui elle s’adresse, et à savoir comment les aider à se projeter dans une nouvelle situation professionnelle en s’appuyant sur les acquis de leurs expériences, fussent-elles douloureuses.

Finalement, son moteur c’est « l’utilité » : pas la reconnaissance, ni même l’aspect financier - elle gagnerait beaucoup mieux sa vie en tant qu’ingénieur - mais aider une personne à réussir, à s’insérer socialement et professionnellement. Revoir les anciens stagiaires et constater qu’ils sont bien dans leurs vies est une gratification pleinement satisfaite. « Pour moi être formateur, c’est aimer les personnes et aimer transmettre son savoir dans le partage. Je suis convaincue qu’on apprend tout au long de notre vie, j’en ai la preuve tous les jours au travail. Je suis fière de pouvoir accompagner mes stagiaires dans leur changement de vie, même si parfois on a plus un rôle de « conseiller » que de formateur ».

 

Tag(s) : #portraits, #DAQ 2.0, #ecriture praticienne, #Greta
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