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Élaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté, l’action « Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne-Franche-Comté » portée par Emfor Bourgogne-Franche-Comté a pour ambition d’accompagner le développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en région. Cette action bénéficie des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC)

 

Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne Franche Comté 

Chemins de praticiens

Épisode 8 - Rencontre avec Hyacinthe AMOUZOU

Formateur au CFPPA de Quetigny

Portraits et autoportraits - Episode 8

La campagne à la ville

Une étude récente a montré que cultiver des plantes dans son jardin diminue le stress et rend plus heureux. Pour m’adonner à cette activité domestique depuis le premier confinement, je ne peux qu’être d’accord avec cette affirmation. En est-il de même lorsque cette activité se fait dans un contexte professionnel ? Cela reste évidemment à démontrer, mais comme à chaque fois que l’occasion m’en est donné, la visite d’un établissement agricole tend à me prouver que, là aussi, cette tendance se confirme. Et ce n’est pas ma visite récente à l’établissement agricole de Quetigny qui me dira le contraire ; même s’il n’est pas très éloigné du centre-ville - les principaux plateaux techniques se situant à Plombière-lès-Dijon ou à Tart-Le-Bas  - et qu’il y a malheureusement un peu plus de béton que de verdure, cheminer au travers les différents bâtiments de cette grande structure de formation en croisant çà et là des élèves en train de planter des massifs de fleurs, de préparer des boutures ou tentant de démarrer une tondeuse m’a laissé entrevoir la sérénité qu’apportent les métiers verts.

Je me rendais ce matin-là au CFPPA, littéralement « centre de formation professionnelle et de promotion agricole ». Destiné aux adultes, cet établissement propose différents parcours de formation qualifiante comportant toujours une partie en centre et une partie en entreprise ; par exemple, le BP responsable d’entreprise agricole, le titre vendeur conseil en jardinerie, le BPA travaux des aménagements paysagers. Le CFPPA de Quetigny est l’un des plus gros de la région, et il fait partie de l’EPL de Quetigny Plombière-lès-Dijon qui comporte en outre deux lycées, un CFA et une exploitation agricole.

Une fois trouvé le bâtiment du CFPPA, bien indiqué, j’ai apprécié la qualité, l’esthétique, et le souci du détail qui semblent avoir prévalu dans l’agencement des espaces intérieurs, de quoi résulte un endroit où on se sent bien d’entrée de jeu, avec des espaces communs fort bien éclairés et meublés avec gout. Le directeur, Laurent Rouzeau, me fait l’honneur de la visite : les plateaux techniques, les ateliers, les salles de cours, les matériels. Pour faire simple, une reproduction des contextes professionnels dans lesquels seront plongés les apprenants, y compris avec les interactions entre les corps de métiers :  les plants sont produits avec les formations horticoles puis installés par les formations paysagistes, les formations horticoles commandent aux formations paysagistes un travail de maçonnerie, etc. Chemin faisant, j’ai été initié aux circuits de production, aux évolutions des techniques professionnelles et des cycles de culture dues au changement climatique, aux avantages comparés des équipements électriques et thermiques. Ne nous le cachons pas, j’ai aussi glané çà et là quelques idées pour ma propre culture domestique !

Ma visite au CFPPA avait pour objectif de faire la connaissance de Hyacinthe, dont le prénom à lui seul inspire à la poésie. La quarantaine bien assumée - l’âge d’or, selon lui, étant cinquante ans - Hyacinthe est encore jeune dans la fonction ; c’est en effet lors de son stage effectué en 2020 dans le cadre de la préparation du titre professionnel de formateur pour adulte (FPA) que la rencontre s’est faite avec le CFPPA, prolongée par une embauche en CDD. « Lors de mon stage, on m’a laissé très vite en autonomie, et j’ai pu faire mes preuves : improvisations, aménagement, écoute de l’autre, adaptation par rapport au public, analyse… je sais réagir et me former rapidement au contact de la pratique. Une fois mon titre en poche, obtenu avec les félicitations du jury, le directeur m’a proposé un poste, que j’ai accepté avec plaisir ».

Hyacinthe intervient dans le domaine des techniques de recherche d’emploi, des Softs Skills et de la communication en entreprise, avec les différents publics du CFPPA mais en particulier le public DAQ 2.0, que nous avons déjà découvert avec Morgane dans un autre portrait et qui est ici porté par le CESAM. Mais il fait clairement la différence car, comme il l’exprime avec émotion, c’est avec le public DAQ que son cœur chauffe plus : « c’est avec eux que je ressens clairement que je suis à ma place ; le public, notamment d’origine étrangère est très respectueux et reconnaissant de ce que l’on fait pour et avec eux. Avec les publics du qualifiant c’est autre chose, ils sont davantage consommateurs. Ma place est là aussi, mais le sentiment d’utilité est moins fort ! ».

Il illustre les interventions qu’il est amené à faire :

Concernant les Softs Skills, il propose un module de quatre séances de trois heures trente, au cours desquelles il aide notamment les stagiaires à faire la différence entre compétences techniques et compétences comportementales, à comprendre que les Softs Skills sont un mélange de valeurs, de qualités, de défauts qui peuvent être transformés en qualités.  Il s’agit de faire le point sur soi, de mettre à plat pour faire le tri et valoriser ses Soft Skills en expériences dans son CV pour se distinguer des modèles prémâchés que l’on trouve en abondance sur Internet. Cette démarche est intégrée au DAQ, les Open Badges marquent chacune des étapes passées pendant le dispositif.

Dans le cadre du DAQ, il anime un module santé, un module gestes et postures, des ateliers thématiques inhérent au DAQ, en plus d’accompagner les stagiaires sur le projet personnel ou des projets collectifs. Ces moments de travail collectifs permettent de changer le rythme et d’éviter que les stagiaires soient toujours concentrés sur leurs propres projets, dans une démarche très individuelle et pour laquelle ils ont souvent le sentiment d’urgence. Les ateliers sont des « bulles d’air » durant lesquelles on apprend à connaitre les autres et à travailler ensemble. Climat bienveillant, écoute, respect, sécurisation du cadre pour laisser s’exprimer les plus timides sont les règles de base de ces ateliers : « si on arrive à créer un climat de confiance, lorsque je te dis « à toi », la personne va le faire, elle va oser s’exprimer même si elle ne le fait en temps ordinaire ». Il utilise aussi des applications de type Learning apps, Quizizz pour des moments plus ludiques et de challenge. Faire créer est aussi important dans les ateliers, cela permet de prendre confiance : « lorsque je leurs propose de produire des exposés par exemple, le mot d’ordre c’est « folie » : produire des dessins, des schémas, des textes, revenir plusieurs fois dessus, à la fin le produit est joli et on a envie de le conserver ».

Parcours de vie et résilience

Hyacinthe a plusieurs cordes à son arc ; musicien, animateur, conteur, formateur, ces différentes facettes ne sont pas dissociées mais contribuent à faire de lui un formateur au style singulier.

Animateur, il l’est depuis toujours. Très tôt Intéressé par l’enseignement et la transmission, c’est avec le public des enfants qu’il aime être : « en soirée, lorsqu’on s’ennuie avec les adultes, jouer avec les enfants, c’est plus fun ». Comme il est créatif, en parallèle d’études en sociologie, il s’oriente vers l’accueil de loisirs avec le BAFA, puis le BAFD et le BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport) qu’il réalise au CEMEA, où il découvre les méthodes actives. Ce mode de formation lui convient parfaitement : lui qui a souffert à l’école - quel intérêt d’être toujours assis ? - il découvre qu’une autre voie d’apprentissage est possible grâce au couplage « savoir théorique-mise en pratique ». Il apprend à mettre les mots sur sa pratique et à appliquer les théories.

Il travaille ensuite dans plusieurs structures en centres de loisirs ou en MJC, mais sa santé décline et freine sa mobilité. Dans le même temps lui vient une lassitude de travailler avec certains animateurs peu motivés, qui ne sont là que pour un travail d’été et qui passent plus de temps sur leurs téléphones qu’à s’occuper des enfants. Il faut dire qu’il est perfectionniste ! Il termine cette période avec une expérience enrichissante, dans un centre où « tout était parfait » et où il peut créer ce qu’il nomme une équipe de « gentils démons » très respectueux mais un peu bruts de décoffrage. Il décide d’arrêter ce métier sur ce coup d’éclat, puis vient une période plus trouble, faite de petits métiers (barman, maraicher…) durant laquelle la maladie s’empire au point de le laisser très souvent alité. Il tente sans succès de créer une activité indépendante de conteur, obtient ensuite une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), il touche le RSA et sombre peu à peu : « Je ne trouvais plus de sens», dit-il avec pudeur.

Il reprend confiance en lui grâce au dispositif « nouvel élan » du MEDEF qui l’accompagne durant six mois quatre heures par semaine, le reste du temps étant consacré à son projet. Sa rencontre avec Colette Lazzaris, accompagnatrice dans ce dispositif, est déterminante car elle le booste tout en le rassurant sur lui-même et sur ses capacités : oui, c’est un véritable artiste et oui, il peut développer ses talents de conteur. Il se remet à écrire des contes, en termine cinq, qu’il présente peu à peu dans son réseau : associations, bars associatifs, retour de la parole au peuple. Il décide alors d’en faire son activité professionnelle, mais l’arrivée du COVID perturbe ce plan. Fort heureusement Colette l’a invité à avoir un plan B : ce sera donc la formation FPA, avec beaucoup de difficulté à suivre le rythme car sa maladie le handicape, mais là encore son formateur est très aidant, et s’attache à le rassurer. Il suit avec brio et intérêt cette formation, sa prestation à l’oral impressionne fortement le jury et il prend les félicitations de celui-ci comme une véritable autorisation à pratiquer le métier de formateur : pour lui qui n’a  pas tellement aimé l’école, cette reconnaissance est primordiale et à une valeur inestimable. La suite, vous la connaissez.

Il y a bien évidement un travail de résilience dans ce parcours de vie : « C’est mon propre parcours, notamment durant le temps où j’étais malade et où je me suis intéressé à la psychologie, et au développement personnel, qui m’a conduit à intégrer la formation FPA et d’être bien dans ce que je fais aujourd’hui : mais finalement c’est à quarante ans que cela s’est passé ». Ce témoignage personnel, il n’hésite pas à le livrer à ses apprenants pour les aider à dépasser leurs propres barrières : « j’explique et je témoigne que tout est possible, quel que soit l’âge. Lorsque j’ai repris le travail, Il a fallu que je m’y remettre, retrouver la confiance, comprendre l’importance de se sentir bien. J’ai pris du recul, car lorsque l’on a failli mourir, on comprend qu’il y a dans notre cerveau des éléments qui nous stressent. Avec les apprenants, j’apporte donc des techniques psychologiques qui fonctionnent pour tout le monde, pour se repérer dans la folie ambiante ou dans les incertitudes que l’on peut rencontrer. Personne n’a confiance en soi en permanence mais lorsque l’on est dans un cadre où l’on connait un peu plus les règles du jeu, les enjeux de pouvoir par exemple, tel que les décrit le triangle dramatique de Kartman, c’est plus facile. Il est aussi important d’être ouvert : si je m’intéresse à l’autre, celui-ci se sent respecté, et cela fait du bien. Enfin, j’explique que l’on a tous des modes de fonctionnements indépendants de notre volonté, et lorsqu’on les comprend, on peut mettre en place d’autres mécanismes pour fonctionner différemment »

Son moteur est la recherche du sens mais aussi une certaine forme d’hédonisme qui peut être contagieuse : « Je vais tout droit et les stagiaires sont généralement emportés ; je ne veux pas me laisser embarquer par les énergies négatives de certains, lorsque c’est le cas. Mon leitmotiv c’est de toujours travailler dans la joie et le plaisir. Je n’agis que par la passion donc il me faut du sens. Je mets dans mes séances tout ce qui me permet de m’éclater ! Je suis assez relaxé, je sais mettre du dynamisme ».

Des bases théoriques mises en actes

Mais le témoignage de vie ne suffit pas pour être un bon formateur : Hyacinthe s’appuie sur sa maitrise de l’ingénierie de formation acquise lors de sa formation FPA pour construire ses séquences, l’écriture du scénario pédagogique, le cadre, dont il n’hésite toutefois pas à se détacher en fonction de l’évolution et de la réceptivité de son groupe. Il s’appuie également sur de nombreuses références théoriques mais, là encore, tout doit faire sens : pour lui, les théories bien formulées peuvent être utilisées immédiatement, c’est ce qu’il recherche.

Au cours de cet entretien, il évoquera tour à tour Montessori et Freinet qui l’incitent à utiliser différemment les espaces de formation, à faire en sorte que les apprenants s’en emparent et que le lieu de formation incite à la convivialité et la coopération. Il évoquera également longuement la communication non violente qui a été pour lui une révélation. C’est au cours de sa période avec Colette Lazzaris qu’il entend un reportage sur Marshall Rosenberg, qui le subjugue et le pousse à rechercher une formation sur le sujet. Il se forme à Lyon avec Line Sandrini. Grâce à elle, Hyacinthe approfondit les quatre étapes de la démarche de communication non violente : Observer un fait, identifier le sentiment que cela génère en nous, regarder à quel besoin le sentiment est lié, formuler une demande à l’autre ou à soi. L’ouverture et la bienveillance guident tout le processus de lien avec l’autre.

Il s’intéresse aussi de près à la psychologie positive et à la bienveillance : pourquoi par exemple certains stagiaires en DAQ reproduisent toujours les mêmes erreurs, pourquoi développent-ils des schémas de pensée infructueux ? La psychologie positive peut selon lui les aider à découvrir les protocoles psychologiques afin d’utiliser des ressorts pour se relever.

Enfin Hyacinthe est influencé par la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner, notamment depuis qu’il a découvert qu’il est lui-même à dominante kinesthésique. « Travailler en ilot pour développer la communication interpersonnelle, toucher, écrire, réfléchir, écouter de la musique… tout est bon en atelier pour lutter contre l’ennui, varier au maximum les techniques, renforcer l’intérêt, donner du sens en respectant toutes les individualités ».

J’ai pris beaucoup de plaisir à écouter Hyacinthe, autant qu’il en a pris, je pense, à se livrer et à répondre à mes questions. Sans doute puis-je me louer d’avoir su instaurer le climat de confiance qu’il évoquait un peu plus tôt, mais cet esprit d’ouverture et de curiosité mutuelle qui nous a amené à « converser », au sens où l’entend Théodore Zeldin, tient autant à lui qu’à moi. Ce n’est pas tant le descriptif de ses séances qui m’a fasciné que sa posture de formateur qui me semble empreinte de deux facettes complémentaires : une certaine authenticité qui le pousse à utiliser sa propre expérience de vie pour aider les stagiaires à prendre le recul nécessaire sur la leur, et un solide bagage théorique qu’il traduit en actes et en leviers pour construire ses accompagnements.  

Pour aller plus loin 

Christophe André, Psychologie positive : Le bonheur dans tous ses états, Paris, Ed Jouvence, 2011

Christophe André, Et n'oublie pas d'être heureux : Abécédaire de la psychologie positive, Paris, odile Jacob, 2012

Howard Gardner, les intelligences multiples, la théorie qui bouleverse nos idées reçues, Paris, Reizt, 2008

Marshall B. Rosenberg : les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) Communication non violente, Paris, la découverte, 1999

Théodore Zeldin : De la conversation : Comment parler peut changer votre vie, Paris, Fayard, 1999

Tag(s) : #portraits, #CFPPA Quetigny, #ecriture praticienne
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