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Élaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté, l’action « Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne-Franche-Comté » portée par Emfor Bourgogne-Franche-Comté a pour ambition d’accompagner le développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en région. Cette action bénéficie des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC)

 

Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne Franche Comté 

Chemins de praticiens

Épisode 10 - Rencontre avec Jean-Jacques LECOMTE

Formateur au GRETA de Louhans

Portraits et autoportraits - Episode 10

Malgré mon âge, j’ai toujours un peu d’appréhension lorsque je rentre dans un établissement scolaire du secondaire ; mes souvenirs pas très heureux de mes années lycée n’étant sans doute pas étrangers à cette appréhension tenace. Pour réaliser ce dernier portrait de formateur, je suis arrivé au lycée Henri Vincenot de Louhans un jour de vacances scolaires et il n’y avait personne, ni profs, ni élèves, dans ce qui m’est apparu comme un impressionnant paquebot, en l’occurrence déserté, aux bâtiments imposants et austères. Sur la tour centrale, les trois portraits géants d’Henri Vincenot, conçus et réalisés par les élèves de SEGPA et d’Ulis, n’étaient pas fait pour me rassurer. Je commençais donc à soupçonner de m’être trompé de date ou d’endroit et projetais déjà de prendre la poudre d’escampette lorsque je vis de loin apparaitre mon hôte du jour, Jean-Jacques Lecomte, dont l’allure débonnaire et la chaleureuse poignée de main me donnèrent illico presto l’envie de lui confier mon destin. Je le suivis donc dans les méandres de l’établissement pour arriver enfin dans les locaux du GRETA qui, par un effet de contraste, m’ont semblé un havre de sérénité. Il y avait bien des formateurs au travail, des apprenants en activité, une vie de centre de formation bien réelle, j’étais arrivé !

Prévenons tout de suite : le GRETA de Louhans proposant des formations et des qualifications techniques, c’est d’un atelier dont nous parlons ici, avec son toit typique en dents de scie et des machines-outils dont j’ignorais pour la plupart la fonction. Contrairement à l’image que l’on se fait parfois, tout est propre, moderne, relativement silencieux. Ici, on prépare aux métiers de l’industrie : la maintenance (Titre technicien de maintenance industriel) et l’usinage (Titre opérateur régleur en usinage assisté par ordinateur) qui conduisent à des emplois dans des industries telles que l’aéronautique ou le nucléaire, avec un taux de retour à l’emploi de 96 % : Selon Jean-Jacques, "les sessions sont à peine commencées que les embauches sont quasi assurées". Le GRETA animant également un DAQ, les stagiaires de ce dispositif peuvent aussi être sensibilisés à ces métiers lors de journées d’initiation ou d’immersion et changer ainsi les représentations de ce secteur d’activité où les salaires et les conditions de travail sont attractifs, pénurie de main d’œuvre oblige.

Sur la section maintenance, Jean-Jacques intervient en complément avec d’autres formateurs ou enseignants de la formation initiale comme Laurent, enseignant au lycée pour qui la journée hebdomadaire avec les adultes est, m’a-t-il dit, sa bouffée d’oxygène. Sur la section usinage en revanche, Jean-Jacques est le seul formateur. Son terrain de jeu comprend un plateau technique, avec plusieurs types de tours à commande numériques, des machines de métrologie (contrôle des pièces) et aussi des machines plus anciennes qui sont encore utilisées dans certaines entreprises. On y trouve aussi sur des chaines de production miniaturisées, des platines pneumatiques et un parc d’outils plus traditionnels, notamment pour la maintenance. Dans le prolongement de l’atelier, une grande salle pour les enseignements théoriques et la partie étude, comprenant des PC équipés des logiciels de DAO et de CFAO, une tablette pour chaque apprenant, et un grand écran interactif dernier cri, qui permet par exemple d’afficher des plans en format A0. On comprend vite que cette pièce n’a rien d’une salle de cours traditionnelle, qu’elle est plutôt organisée en « bureau d’études » où l’on se forme en produisant, plutôt qu’en écoutant : "les gars se déplacent, ils vont sur le drive chercher les plans du projet de la semaine, ils vont afficher le plan sur l’écran tactile, ils zooment, puis ils utilisent à leur guise et en fonction des besoins les tablettes ou les PC". Bref, ils s’autoforment !

Un formateur multitâches

Comme il anime la quasi-totalité des matières demandées dans la préparation des titres professionnels, c’est-à-dire à la fois les enseignements techniques et les enseignement théoriques (mathématiques appliqués, métrologie, dessin), on peut dire de Jean-Jacques qu’il est le seul maitre à bord et complétement libre de ses choix pédagogiques. Sur une semaine, les stagiaires, au nombre de huit par section, passent l’équivalent de deux à trois jours à l’atelier, et le reste en cours. Les matinées sont consacrées à la lecture de plans, à l’analyse de fabrication, aux mathématiques appliquées (trigonométrie, formule de coupes, formules de vitesse…), et, plus ponctuellement à une partie TRE (recherche de terrain de stage, rédaction de CV et de lettre de motivation, préparation des entretiens).

Le cœur de la pédagogie mise en place par Jean-Jacques est un système de fil rouge, qui est un projet unique de conception et de production mené de A à Z sur toute la durée de la formation et qui a pour but l’imbrication des travaux collectifs. Cela peut être des projets pour les lycées, pour certains collègues, des préséries pour des entreprises partenaires, des projets d’association. Cette année par exemple, il s’agit de produire un moteur sterling de type Alpha. A ce projet annuel s’ajoutent d’autres projets plus ponctuels : auto-équipements, petites productions avec les partenaires, productions personnelles des stagiaires.

A tour de rôle, un « chef de semaine » est désigné ; celui-ci fait le tour de ses collègues chaque soir pour noter le travail réalisé par chacun et faire ainsi en fin de semaine un rapport sur l’avancée des fils rouges. C’est une manière de mettre une « petite pression » au groupe et de permettre de voir autrement ses collègues de travail ; lorsque le chef de semaine identifie des difficultés avec un collègue, il doit aussi chercher des solutions pour y pallier. De ce fait les apprenants s’impliquent davantage dans leurs formations et deviennent des producteurs de leurs connaissances et compétences, tout en s’appropriant les codes du travail en entreprise, en termes de gestion d’équipe, de communication, de traçabilité…

Jean-Jacques sait rassurer ses stagiaires, en les invitant à s’ouvrir sur leurs problèmes ou sur ce qui peut ne pas convenir dans l’organisation et il s’engage à rechercher des solutions. C’est, dit-il, "sa responsabilité de pédagogue de rechercher et de trouver la manière de faire pour que l’apprenant réussisse à dépasser ses difficultés". En ce sens, la formation est individualisée puisque chaque apprenant est pris en compte avec sa singularité, son profil d’apprentissage personnel, ses blocages, ses doutes, sa confiance en lui. La dynamique de groupe est aussi importante, et il est essentiel de veiller à la convivialité. Les croissants du vendredi matin avec les apprenants est un rituel fédérateur qui contribue à créer des équipes apprenantes dans lequel le formateur, adulte parmi d’autres adultes, n’est pas le maitre qui enseigne à des élèves, mais plutôt un chef d’équipe, un coach, un manager qui prends soin de ses collaborateurs et qui apprécie de partager avec eux de bons moments.

Au-delà des aspects purement pédagogiques, il peut aussi être très proche des personnes qu’il accompagne, dont certains parfois deviennent des amis. Il évoque le cas d’un stagiaire qui ne se nourrissait pas correctement, ce qui posait des problèmes sur sa capacité d’attention et avec qui il a,  sans ostentation, partagé ses repas de midi. Après tout, si l’on en croit Maslow, il faut d’abord régler les besoins physiologiques de base pour mieux aborder les besoins des niveaux supérieurs de la pyramide et c’est aussi dans cette écoute et cette empathie que l’on reconnait un bon formateur. Sans rentrer dans le "social", le côté humain de la fonction est une dimension essentielle de ce métier, tel que le conçoit Jean-Jacques.

Je sentais bien à l'écouter que la formation n'avait pas été son seul métier, et j'étais curieux de l'entendre évoquer son parcours.

Faire son métier de la pédagogie des adultes

Jean-Jacques est avant tout un « producticien », c’est-à-dire un « spécialiste de la productique, de l'ensemble des techniques informatiques de mise en œuvre des systèmes de production automatisés ».  Formé dans une filière classique avec un cursus allant du CAP à la licence, à la sortie de ses études, un collègue qui le voit bien « faire de la pédagogie » l’invite à s’orienter vers le métier d’enseignant, et plus précisément sur un poste disponible au Lycée du Creusot qu’il occupera durant cinq années. Épuisé par une dernière expérience difficile, il démissionne de l’Éducation nationale et part faire son service militaire. Il monte en grade et développe de ce fait de nouvelles compétences, en management notamment. A la sortie de l’armée, dix ans se sont passés depuis sa sortie d’étude, les techniques de productique ont changé, c’est difficile de revenir dans la course. Alors, pourquoi pas tester autre chose ? au culot et sans expérience dans le domaine, il postule dans un bureau d’études qui produit des prototypes pour des pelleteuses, et il est recruté. Comme le dira son patron de l’époque « on ne peut avoir fait l’armée et être mauvais ! ». Il y reste à nouveau cinq ans mais il est malheureusement licencié pour raisons économiques. Il devient alors conducteur de travaux durant trois années, expérience qui lui permet d’ajouter d’autres cordes à son arc, mais le rythme intensif est, à force, peu compatible avec une vie de famille équilibrée. Il quitte donc cet emploi et décide de se remettre à niveau par le biais d’une formation au GRETA où il est le seul stagiaire de sa promotion. A la sortie de cette formation, l’occasion devait être trop belle, le Conseiller en Formation Continue qui lui remet son diplôme lui fait les yeux doux et lui propose un poste de formateur en usinage, vacant depuis très longtemps. Lui qui a quitté l’Éducation nationale il y à quelques années, voici qu’Elle le rattrape par la veste. Bien lui en a pris d’accepter, il y est depuis maintenant plus de dix ans, épanoui dans un travail qui à ses yeux est "de tout ceux qu’il a fait, le plus intéressant : on y rencontre des personnes venant de tout horizon, aux parcours de vie très étonnants parfois cruels mais toujours captivants". Il ne se voit pas toutefois retourner en formation initiale, la formation des adultes lui convenant très bien.

Jean-Jacques n’a finalement jamais suivi de formation pédagogique formelle, hormis le tutorat durant sa première année en formation initiale. Mais il lit beaucoup, se nourrit aussi intellectuellement avec son épouse qui travaille en Ulis et avec qui il s’autoforme. Cette curiosité naturelle, sur la question des « dys » ou encore sur les travaux de recherche sur le cerveau, alimente sa réflexion et fait évoluer sa posture pédagogique, en lui permettant de comprendre certains blocages : la mémorisation, l’usage des deux hémisphères cérébraux, l’appréhension de la 3D et du repérage dans l’espace : "dans ces métiers, il faut toujours s’intéresser aux innovations et à la recherche, en neurosciences par exemple". Sur l’ingénierie de formation (lecture des référentiels, construction des séquences et séances de cours, productions des évaluations…), il a appris également sur le tas, mais sait lorsque c’est nécessaire se tourner vers des personnes compétentes de son réseau professionnel. Enfin, il est très intéressé par l’usage du numérique en formation, notamment sur l’usage de la réalité virtuelle et il est autodidactique sur le sujet. Il recherche de nouvelles applications, s’est sorti avec brio de l’épreuve de la continuité pédagogique durant la crise sanitaire, et il anime depuis dix ans un blog où il recense les évolutions de carrière des anciens apprenants, ce qui lui permet aussi de mener une veille sur les potentiels d’embauche et de prendre la température de son secteur professionnel.

Ce qui lui manque le plus est de travailler avec des collègues. Bien sûr, il forme une bonne équipe avec les autres professionnels du GRETA et ses collègues de la formation initiale, mais le fait d’être seul sur son domaine de compétences lui pèse un peu.

A la fin de notre entretien, nous avons retraversé ensemble la cour du lycée pour retrouver la sortie. J’ai eu, une fois encore, le sentiment d’avoir fait une belle rencontre, avec un formateur plein d’humanité, bien dans son métier qui occupera une place de choix dans ma galerie de portraits.

 

Tag(s) : #greta louhans, #ecriture praticienne, #usinage
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