Élaborée dans le cadre de la Communauté des organismes de formation en Bourgogne-Franche-Comté, l’action « Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne-Franche-Comté » portée par Emfor Bourgogne-Franche-Comté a pour ambition d’accompagner le développement des pédagogies active et expérientielle au sein des pratiques des professionnels de la formation en région. Cette action bénéficie des financements du Pacte régional d’investissement dans les compétences (PRIC)
Portraits et autoportraits de formateurs et formatrices en Bourgogne Franche Comté
Chemins de praticiens
Épisode 9 - Rencontre avec Frédérique DREZET
Formatrice à la MFR de Pontarlier
Une organisation originale, un système éprouvé
Le choix des mots est important, ce n’est pas vous qui me lisez qui me direz le contraire ! C’est pourquoi le terme de Maison Familiale Rurale (MFR) me semble particulièrement bien choisi pour dénommer le centre dont je vais vous parler aujourd’hui.
Comme il est rappelé sur le site du Mouvement, les MFR sont le fruit d'une expérience menée en 1935 dans le Sud-Ouest de la France, dans un petit village du Lot-et-Garonne, autour de quelques agriculteurs ayant eu l’idée d'inventer une formation pour répondre aux besoins de leurs métiers et promouvoir l'éducation des jeunes en milieu rural. Et oui, 1935, les MFR ont bientôt un siècle (ne chipotons pas sur les années), mais sont bien actives sur l’ensemble du territoire. Acteur de l'économie sociale et solidaire et acteur de la formation, elles auraient, dit-on, inventer le système de l’alternance. Au travers quatre cent trente établissements sur le territoire national, elles proposent aux jeunes et adultes « un modèle de formation alternatif pour s'élever, réussir et s'intégrer pleinement dans la société et le monde du travail ».
Mais revenons aux termes : Rural ? sans aucun doute, on ne peut nier à Pontarlier le fait d’être une ville à la campagne, dans un bassin d’emploi dynamique où on frôle le plein emploi. Même si la MFR propose des classes de 4ème et 3ème de l’enseignement agricole, les métiers préparés à la MFR ne sont pas que les métiers verts mais ceux en lien avec l’économie locale, autrement dit le tourisme, l’accueil, les services aux personnes, avec des formations de niveau CAP au niveau BTS. Maison ? oui en effet, c’est bien dans une « maison » que l’on est accueilli, et le cadre a ici toute son importance. Une partie plus moderne, avec une organisation en salle de classes un peu traditionnelle, adossée à un bâtiment de charme, classé monument historique et comprenant une partie enseignement et une partie hébergement, plus cosy. Familial ? Il règne, c’est certain, une ambiance particulière dans laquelle prévaut une relation entre les jeunes et les adultes qui n’est pas celle que l’on rencontre habituellement en formation initiale. Lorsque je suis arrivé par exemple, c’est dans le réfectoire et avec un café fort bien venu que je fus accueilli par Frédérique Drezet, mon hôtesse du jour, en compagnie d’un groupe de jeunes qui partaient pour la journée en visite à l’extérieur et qui mettaient la main à la pâte pour préparer leurs collations du midi, sous la surveillance attentive et bienveillante de la maitresse de maison. Même si l’internat n’est plus obligatoire, la vie en collectivité est l’un des piliers de la pédagogie des MFR, comme il est souligné sur le site : « la vie en collectivité favorise l'entraide, la cohésion et la solidarité ; elle aide également les jeunes à devenir autonomes en leur permettant d'intégrer les notions de respect et les règles permettant de bien vivre en société ». C’est pourquoi les élèves ont des services à faire, tels que le dressage des tables, au profit de la communauté. Les amplitudes horaires sont importantes : les demi-pensionnaires sont accueillis de 8 heures à 19 heures, et les internes ont en outre des activités en soirée, proposés par l’animatrice.
Plus habitué aux centres de formation pour adultes, je ne vous cache pas que j’ai été un peu décontenancé de prime abord. En effet, la MFR est en même temps un établissement scolaire, accueillant des jeunes de niveau 4ème/3ème et un centre de formation pour adultes. Contrairement à d’autres établissements, comme les GRETA qui distinguent les deux publics, ici ce sont la même équipe pédagogique, les mêmes infrastructures et le même modèle d’enseignement qui sont mobilisés. Pour la formation initiale, ce qui distingue l’offre de la MFR des collèges est notamment le fait que les formations se passent en alternance, et sur n’importe quel métier, dès lors que c’est le choix du jeune. Pour la formation continue, la MFR propose plusieurs offres de qualification dans les domaines cités plus haut (commerce, tourisme, service aux personnes…), ainsi que le dispositif DAQ, qui est décidément une action phare dans cette région. Pour ma part, je suis peu habitué à cette ambiance bruyante et chahuteuse des espaces communs des établissements scolaires, lorsque chacun se hâte - ou non - à regagner sa salle de classe à l’heure dite et j’étais curieux de savoir comment se passe cette cohabitation. Ma visite de la maison a répondu en partie à ma question.
Je ne pouvais sans doute trouver meilleure guide que Frédérique, qui, pour les fréquenter depuis maintenant près de trente ans, est aussi familiarisée aux lieux qu’à la pédagogie originale de la MFR, qu’elle a contribué à produire tout au long de ces années. En se promenant dans les locaux, on perçoit très vite le côté pratique de la formation dispensée : la salle de mise en situation tourisme, l’appartement pédagogique dont les meubles d’époque m’ont ramené quelques dizaines d’années en arrière, la friperie éphémère… sont autant de lieux proches des situations de travail réelles : un office du tourisme ou une agence de voyage, le domicile d’une personne âgée avec son lit médicalisé, le magasin de vêtements où l’on doit trier les habits et les implanter sur les présentoirs. On constate aussi que, finalement, les deux publics ne se mélangent pas vraiment, certaines salles étant réservées aux adultes, notamment les DAQ.
Concernant l’approche pédagogique, plutôt que de proposer un emploi du temps classique sur les matières générales, les classes (ou les groupes d’adultes) abordent un thème par semaine et tous les contenus du référentiel sont rattachés à ce thème. Lors de ma visite, la classe de 3ème abordait le thème « nos voisins européens ». En histoire géographie on leur parlera donc de l’Union Européenne ; l’enseignant en langue étrangère proposera une initiation à l’italien, l’allemand et l’espagnol ; l’enseignant en Education Physique et Sportive abordera les sports nationaux tels que le cricket. Outre les intervenants du centre, la MFR invite également des intervenants externes et organise des visites en lien avec la thématique. Les retours des stagiaires eux même (jeunes ou adultes) sur leurs expériences en situation de travail sont aussi exploités. Comme l’explique Frédérique « lorsqu’on aborde l’alimentation des 0 à 6 ans, entre la garde d’enfants en crèche, en structure, au domicile ou les assistants maternels, les expériences vécues sont très diverses, et leurs présentations par les apprenants enrichissent les apports des experts ».
Cette ingénierie de formation s’inscrit pleinement dans la logique de modularisation. C’est un travail lourd, repensé chaque année en début Juillet mais qui a fait ses preuves : « Les élèves s’y retrouvent, on ne fait pas « du français pour le français » mais du français en lien avec une situation concrète ». Ce découpage permet en outre à la MFR d’être très réactive : « supposons qu’un salarié veuille se former sur l’hygiène, on peut l’intégrer sur la semaine où le thème est abordé ».
Innover dans la continuité
Mais tournons-nous maintenant vers Frédérique pour comprendre un peu mieux son parcours professionnel.
C’est au départ un parcours assez classique : un bac général littéraire, une envie très jeune d’aller vers l’enseignement mais pas forcément dans une discipline en particulier. Ce n’est pourtant pas la profession de ses parents, l’un artisan et l’autre fonctionnaire, qui lui induisait cette voie. Elle se souvient d’un test d’orientation en troisième qui lui prédisait un avenir en tant qu’assistant de direction trilingue, mais ce métier ne l’attirait pas. Son stage en BTS ne fera que l’en détourner : « avoir quelqu’un sur mon dos toute la journée, ce n’est pas pour moi ! ». Avec son Bac + 2, elle arrive à la MFR en 1990 pour donner des cours de bureautique, mais très vite elle souhaite pérenniser son emploi. Elle sera donc embauchée en tant que monitrice - c’est le terme en usage dans les MFR pour désigner les formateurs - et comme tout nouvel arrivant en MFR elle suivra la formation pédagogique obligatoire. Cette formation dure deux ans, la première année se passe en région et la seconde au centre national pédagogique à Orléans. C’est une formation conséquente, qui conditionne le maintien en poste, et durant laquelle sont abordées les différentes pédagogies, dont, bien sûr, la pédagogie MFR. En parallèle de son travail au quotidien, elle se forme, elle lit beaucoup, elle produit des rapports, puis un mémoire en seconde année, bref elle se professionnalise peu à peu. Mais cela ne lui suffit pas : dans la foulée, elle s’inscrit en licence « gestion et accompagnement des publics dans les organisations » à l’université de Lille, non seulement pour avoir un diplôme de niveau bac + 3 mais aussi parce qu’elle ressent un besoin d’apports théoriques sur l’accompagnement. Déjà à cette époque, elle s’orientait vers le public adulte et ressentait la nécessité d’augmenter ses savoirs et ses compétences sur le sujet de l’andragogie.
En 2001, pour des raisons économiques, mais aussi pour aller voir le monde professionnel, elle quitte la MFR pour travailler chez Adecco en tant que responsable du recrutement. Elle y reste trois années, qui lui ont été bénéfiques : « cela a été très formateur, car j’ai pu affiner ma connaissance du terrain et je suis plus crédible, par exemple lorsque je parle aux stagiaires du traitement des CV en agence d’intérim : ce que l’on regarde en premier, ce qui est rédhibitoire, et ainsi de suite ». Selon elle, il est indispensable que les formateurs d’adulte aient cette double casquette : une base théorique solide sur la pédagogie et une expérience de terrain. Mais là encore, le manque d’autonomie lui pèse, elle profite donc d’une opportunité qui lui est proposée par la Direction de l’époque pour revenir à la MFR, cette fois-ci en tant que directrice adjointe. Après sept ans à ce poste, elle choisira de redevenir formatrice, responsable des CAPA puis des BTS Tourisme, et enfin ce sera le DAQ, véritable opportunité d’intervenir quasi exclusivement avec des adultes.
En effet, c’est résolument le public adulte qui lui convient et elle ne conçoit pas de retourner en formation initiale : « avec eux, dit-elle, on peut échanger sur tout, être réellement dans l’accompagnement, proposer des activités pédagogiques qui ne sont pas transposables chez les plus jeunes. Il n’y a pas d’obligation, de programme à suivre, on est libre de proposer ce que l’on veut et travailler réellement le projet professionnel de chaque personne. Avec les plus jeunes, sur deux heures de cours, on perd beaucoup de temps à faire de la discipline, de l’éducatif, voire à se justifier sur ce que l’on fait, et c’est usant ! ».
Mais ce n’est pas pour autant la facilité assurée : avec le public DAQ il faut toujours se remettre en question, varier les thèmes, imaginer de nouvelles activités, produire de nouveaux supports. Frédérique aime innover dans son métier, même si cette recherche d’innovation déborde souvent sur son temps libre. Référente PIX, le numérique est un domaine qui la fascine : durant le confinement, elle créera par exemple un site pour proposer quotidiennement des activités à ses apprenants (visionner des vidéos, réaliser des exercices, produire avec le numérique…). En présentiel, elle cherche aussi à mettre en place des activités avec le support informatique. Enfin, convaincue que c’est une clé pour développer son employabilité, elle accompagne les publics DAQ à produire et alimenter leurs profils LinkedIn, afin de mettre en valeurs leurs compétences et expériences.
Comment définit-elle la pédagogie singulière des MFR ? en quelques mots :
- Une pédagogie de l’alternance, très proche du terrain, ce qui suppose de bien connaitre les secteurs professionnels, de faire de nombreuses visites sur les sites et de faire intervenir des professionnels du secteur ;
- Un travail en partenariat avec les acteurs locaux mais aussi les autres membres du consortium, notamment dans le cas du DAQ ;
- Une pédagogie individualisée, dans laquelle le tutorat tient une grande place : c’est pourquoi un tutorat est organisé toutes les semaines, chaque apprenant étant reçu individuellement par son tuteur le lundi matin ;
- Enfin, une pédagogie qui laisse une grande place à l’orientation et l’aide à la définition des projets personnels, que ce soit pour le public jeune ou le public adulte ; chaque projet est « entendable » et se doit d’être accompagné, même si cela nécessite une grande adaptabilité des équipes pédagogiques.
Comment définit-elle sa fonction ? « Mon rôle n’est pas de transmettre, mais c’est d’être accompagnant, avec les maitres mots « écoute, accompagnement, orientation positive ». Pour moi être formateur c'est échanger, construire et avancer ensemble sur un projet d'orientation construit, transmettre mais surtout valider des compétences. L'écoute, l'empathie, la prise en compte du collectif, l'adaptabilité sont des valeurs incontournables du métier de formateur. La pédagogie de l'alternance est une réelle valeur ajoutée dans l'enseignement tout en prenant compte des besoins des professionnels »
Cent fois sur le métier… Suivant cet adage, la remise en question, pour comprendre ce qui marche et ce qui marche moins, pour trouver de nouveaux outils ou de nouvelles stratégies, pour développer de nouveaux partenariats et monter de nouveaux projets, pour se tenir informée des évolutions technologiques et pédagogiques, pour continuer de se former sur différents aspects tels que la compréhension des publics, la confiance en soi, les différents handicaps en milieu scolaire … est presque permanente mais très enthousiasmante. On comprend à écouter Frédérique le plaisir qu’elle prend à cette recherche permanente de l’innovation et pourquoi, finalement elle trouve dans cet environnement professionnel les clés d’un épanouissement personnel dont profitent, incontestablement, les personnes qu’elle accompagne.