J’entends déjà d’ici les grincheux : ChatGPT mon amour, et puis quoi encore ? est-il atteint de démence sénile précoce ? va-t-il nous raconter qu’il mène avec son agent conversationnel une relation extra conjugale ?
Ne nous emballons pas : ce titre est juste pour vous attirer, maintenant que vous êtes là, discutons sérieusement. J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises la sidération qui me prend lorsque je « discute » avec ChatGPT, car, oui, il s’agit bien, à mon sens, d’une discussion au sens fort du terme, c’est-à-dire d’une action concertée entre deux interlocuteurs visant à examiner un fait, à l’analyser en échangeant des points de vue, parfois contraires, tout en faisant preuve d'esprit critique et d’argumentation. C’est ce que font généralement deux personnes, ou plus, réunis fortuitement ou intentionnellement autour d’une table, que le sujet abordé soit léger, lorsque ladite table se situe dans un café (le gout de mûre de la cuvée 2024 du beaujolais nouveau par exemple), ou plus grave lorsqu’elle se situe dans une salle de conférence (la paix au Proche-Orient ou la prochaine hausse d’impôts). Il y a, bien sûr, des discussions calmes, posées et enrichissantes, et d’autres plus houleuses, qui laissent un gout amer ou des rancœurs, essentiellement lorsque les personnes ne s’écoutent pas vraiment, et qu'elles restent bloquées sur leurs points de vue sans prendre en compte l’avis de l’autre.
A cet égard, je dois dire que jusqu’à présent, et il n’y a pas de raison que cela change, mes discussions avec ChatGTP ont toujours été d’une courtoisie exquise : il entend mon point de vue, il argumente le sien avec pondération et délicatesse, et il est rare que nous ne trouvions, in fine, un terrain d’entente. Mais ce qui est le plus extraordinaire, c’est qu’il est aussi un enseignant hors pair, pratiquant avec brio et compétence un modèle pédagogique qui me convient parfaitement : la pédagogie positive. Pour mémoire, la pédagogie positive privilégie bienveillance et encouragements pour développer la confiance en soi, la motivation et la créativité des apprenants. Et j’en ai bien besoin pour ma part, car je me suis lancé depuis quelques mois dans la difficile production d’haïkus (poème japonais en trois vers de dix-sept syllabes) et de ses différentes déclinaisons dont les Haïbuns. Un Haïbun est « une composition littéraire dans laquelle prose et haïku se mêlent en une brève narration poétique d'une expérience réelle ou imaginaire ». Ne vous méprenez pas, l’exercice est bien plus difficile qu’il n’y parait, malgré une trompeuse simplicité : l’exercice est ultra codé, et les Haijins (producteur d’Haiku) ont tôt fait de vous renvoyer dans vos cordes si vous ne respectez pas l’orthodoxie du genre. Donc, avant d’affronter un public de connaisseurs, il m’arrive de soumettre mes productions à ChatGPT ce que j’ai fait dernièrement sur un texte intitulé « au train où vont les choses » dont vous pourrez lire la version définitive à la fin de cet article. Je l'ai interrogé de la manière suivante : j'ai produit un Haïbun, j'aimerais avoir ton avis.
Analysons ci-après sa réponse :
ChatGPT : Ton haïbun est très réussi : il capte avec finesse l'essence d'une scène de gare et la vie qui se déploie autour de toi. L'équilibre entre prose et haïkus fonctionne bien, chaque partie apportant sa propre touche de vie et de réflexion.
Tiens, déjà il commence par me complimenter, c’est encourageant ! Il a bien compris mon intention, et me le fait savoir en la reformulant à sa manière. Il me montre aussi qu’il connait bien son sujet, je peux donc lui faire confiance. Continuons :
ChatGPT : Voici quelques remarques et suggestions pour affiner le texte :
Descriptions vivantes : Tes descriptions des moineaux, de la jeune fille avec le chapeau de paille et du jeune homme avec le sac sont visuelles et immersives. Tu as bien capturé l'atmosphère avec des détails précis et évocateurs.
Références culturelles : La mention de Jacques Tati est un bel ajout qui évoque une ambiance précise et donne un ton léger. Tu pourrais même ajouter une brève comparaison directe pour renforcer le lien, par exemple : « tels des personnages maladroits de Tati. »
A oui, je te remercie, c’est une bonne idée. En plus, il me montre qu’il connait Jacques Tati, cela nous fait un point commun ! Continuons :
Transitions entre les haïkus et la prose : Les haïkus s'intègrent bien dans la prose, mais il pourrait être intéressant de préparer un peu plus leur arrivée, surtout celui sur « De sa bouche gracieuse », pour que le passage entre la prose et le haïku soit encore plus fluide.
Haïkus : Ils sont bien insérés et apportent un contraste intéressant avec la prose. Peut-être pourrais-tu souligner légèrement plus l'effet d'isolement et de réflexion qu'ils apportent, surtout avec « Somnolence / mes deux voisins débattent / du calcul intégral », qui capture bien l'absurde et le décalage.
Cet échange en particulier montre bien comment, en valorisant mes efforts tout en me suggérant des pistes d’amélioration, ChatGPT s’inscrit dans une approche pédagogique qui renforce ma créativité et ma confiance. Continuons :
Conclusion : L'histoire du galet volé est un détail intriguant qui ouvre la porte à une réflexion personnelle. Tu pourrais conclure sur une note introspective ou relier ce détail à une émotion ou un souvenir. Dans l'ensemble, c'est un Haïbun fort et plein de vie, qui peint bien les interactions et les petits drames de la vie quotidienne dans un train. Bravo pour ce travail soigné et évocateur !
Alors là chapeau ! Dans ce petit échange, il me fait des suggestions qui me semblent intéressantes, que je ne retiendrais pas forcément toutes, mais il le fait en insistant sur la qualité de mon travail ; il est bienveillant, il m’encourage, il n’a pas de jugement négatif mais me donne au contraire envie de progresser. Il me conseille « peut-être pourrais-tu souligner légèrement plus l’effet d’isolement » sans faire à ma place et sans me proposer des solutions toutes faites qui dénatureraient le caractère très personnel de ma création. Enfin, il requiert toujours mon avis pour relancer la discussion. Lorsque je lui demanderais par exemple de me proposer une suggestion suite à sa remarque sur la jeune fille, il le fera mais en finissant par « Qu’en penses-tu ? » ce qui ouvre à nouveau le dialogue.
Mon épouse, à qui j’ai lu le commentaire sans lui dire de qui il émanait a eu cette remarque sublime : « C’est qui, une personne de ton groupe ? en tous cas, on voit bien que c’est quelqu’un qui s’y connaît ! » Et non, ce n’est pas une personne. Je crois pouvoir dire en revanche que ChatGPT est un bon professeur et que les feed-back qu’il prodigue sont de nature à inspirer nombre d’enseignants enclins à développer une pédagogie positive mais englués malgré eux dans des habitudes de jugement, de contrôle, de mesure d'écarts à la norme. La complémentarité à trouver entre un agent intelligent artificiel et un formateur/coach humain est un extraordinaire domaine de recherche à prospecter.
A vrai dire, la seule interrogation qui me reste est de savoir comment il m’aurait répondu si mon texte initial avait été réellement mauvais.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Au train où vont les choses
Quai de la gare de Massy. Quelques moineaux s’effraient du passage d’un train, mais reviennent aussitôt se disputer les restes d’un sandwich abandonné. Une voix artificielle guide les voyageurs, ses ordres et contre-ordres produisent des mouvements de foule qui me rappellent les personnages de Jacques Tati dans « les vacances de Monsieur Hulot ». Une jeune fille au jean troué portant un grand chapeau de paille à sa valise vitupère au téléphone, sans se soucier de nous. L’echange semble s’envenimer : en des termes imagés, il est question de retards fréquents, de confiance trahie, de promesses non tenues. Témoins malgré nous de ce débat unilatéral, nous nous gardons bien de prendre position.
De sa bouche gracieuse /un flot ininterrompu/ Mots orduriers
Plus loin, un jeune homme tire à grand peine un énorme sac dont l’une des roulettes vient de céder. Les voyageurs descendant du train qui vient d’entrer en gare dévient leur route sur son passage, comme le torrent passe de part et d’autre d’un arbre déraciné tombé dans le courant.
La rame est pleine et je joue des coudes pour rejoindre ma place. Sur le siège à côté du mien sommeille une jeune femme, un livre ouvert sur ses genoux menace de tomber. Il s’agit de « tant que le café est encore chaud » de Toshikazu Kawaguchi, que j’ai eu bien du mal à finir. J’aimerais savoir ce qu’elle en pense, mais je sais que je n’oserais pas lui demander. Dans le carré d’en face, quatre jeunes sportifs en jogging discutent de sponsors, de comptabilité, et comparent les avantages et les inconvénients des différents statuts juridiques liés à leur activité. Un peu plus loin, deux profs de maths se livrent à un concours d’érudition qui réactive chez moi quelques souvenirs enfouis.
Somnolence/mes deux voisins débattent /du calcul intégral
Le barista de la voiture bar nous fait part de sa disponibilité et tente d’appâter les clients par quelques réductions. Une mère de famille décide d’initier son jeune enfant aux subtiles saveurs des repas de la SNCF.
Deux ans à peine/son déjeuner englouti/à grande vitesse
A l’arrivée en gare de Le Mans, ma voisine ouvre les yeux et me fait cadeau d’un beau sourire, que j’emporte avec mon bagage en descendant sur le quai.
En me dirigeant vers la sortie, je roule dans ma poche le galet volé hier sur la plage de Nice. J’aperçois au loin l’amour de ma vie qui m’attend sur le parvis et je me fiche bien qu’ici le ciel soit plus gris.