Article paru dans la revue Epithète N° 27, décembre 2005
Comme dans tout milieu professionnel, l’intégration des technologies dans les organismes de formation occasionne des réactions diverses, situées entre le rejet total et l’adhésion enthousiaste.
Les raisons du rejet sont diverses, mais les arguments les plus souvent entendus, tels que le risque de déshumanisation de la relation pédagogique, les TIC comme source d’économie, le risque de
disparition progressive du formateur … cachent souvent d’autres raisons moins avouables, tel que le manque de maîtrise informatique et surtout la crainte d’une remise en cause profonde de ses
modes de fonctionnement et de sa conception du métier d’enseignant ou de formateur.
Une chose est sure, les technologies ne transforment pas systématiquement et d’un coup de baguette magique les processus éducatifs. Les défenseurs de la pédagogie de la transmission peuvent, avec
les technologies, faire « encore plus de transmission », de même que les constructivistes, en utilisant par exemple les outils de travail collaboratif à distance, encore plus de constructivisme
pédagogique. Cependant, les technologies conduisent presque toujours à ré-interroger ses modes d’intervention et la répartition des rôles au sein du scénario pédagogique : le rôle du formateur,
celui de l’apprenant, celui de la technologie. Les combinaisons de ces éléments sont (presque) infinies et peuvent donner lieu à des formes de dispositifs très divers, laissant ainsi une grande
place à l’imagination et coupant court à l’argument d’une standardisation conduisant à l’appauvrissement pédagogique.
Au-delà de leurs divergences, la caractéristique commune de ces « nouveaux » dispositifs de formation, soucieux de s’inscrire dans le double paradigme de la société cognitive et de la formation
tout au long de la vie, semble être la construction de dispositifs ouverts, pas nécessairement à distance, au sein desquels l’apprenant se voit proposer un parcours individualisé, visant à la
fois l’acquisition de savoirs et savoir-faire, mais également de compétences à l’autoformation et le développement de son autonomie. En ce qui concerne le formateur, ce type de dispositif induit
trois transformations majeures :
- tout d’abord, le formateur devient un agenceur de ressources. Plus que la production de ressources, dont on sait aujourd’hui que ce choix conduit parfois à une impasse, car on ne
s’improvise pas du jour au lendemain médiatiseur, le formateur doit savoir identifier et évaluer les ressources didactiques existantes. Pour reprendre la métaphore du théâtre chère à la FOAD
(rupture des unités de lieux, de temps et d’action du théâtre classique), nous pouvons affirmer qu’il n’est pas indispensable d’avoir écrit la pièce pour la mettre en scène ! Dans un certain
nombre de cas cependant, il doit pouvoir également concevoir des ressources originales et, soit les produire lui-même avec des outils simples, ce que l’on nomme généralement les outils du
rapid’e-learning, soit passer commande à un médiatiseur. Cette aptitude à mobiliser d’autres types de compétences est l’une des transformations majeures induites par l’introduction des
technologies.
- en même temps qu’il identifie ou produit les ressources identifiées, il doit également contribuer au montage du dispositif, et passer progressivement de l’ingénierie pédagogique à l’ingénierie
de formation. Sortant du cadre stérilisé du lieu de formation, dépassant la seule relation formateur-apprenant, le formateur doit s’impliquer dans son environnement local, afin d’identifier,
comprendre, utiliser, critiquer les éléments du contexte économique, social et culturel, et participer activement à la construction et la mise en œuvre du dispositif, sur un mode de plus en plus
partenarial.
- enfin, la troisième facette de son métier consiste à construire avec chaque apprenant un parcours adapté à ses besoins et à son mode d’apprentissage. Le formateur devient donc plus un
accompagnateur qu’un transmetteur, déplaçant sa légitimité professionnelle de la maîtrise d’une seule discipline à une approche beaucoup plus systémique, polyvalente, davantage basée sur une
approche générale, co-construite avec l’apprenant, et articulant différemment l’individuel et le collectif. Ce parcours doit en effet prévoir une place importante à la recherche guidée et
accompagnée dans l’ensemble organisé des ressources éducatives, tout en ne négligeant pas la dimension collective inhérente à tout apprentissage.
D’un point de vue socio-organisationnel, deux grandes tendances assez opposées se dégagent toutefois. Dans un premier cas de figure, le recours à la FOAD conduit à une complexification et un
enrichissement des tâches des formateurs, qui sont amenés à occuper de nouvelles fonctions, à accroître leur implication dans l’ingénierie de formation, à enrichir leurs modes de relations avec
les apprenants, ce qui augmente la plus-value pédagogique, d’une part, et revalorise l’intérêt pour cette profession d’autre part. Dans un autre cas de figure en revanche, l’organisation de la
FOAD s’appuie sur un retour de la division du travail qui peut conduire à un appauvrissement des tâches, et donc des compétences requises, à un découpage du métier de formateur en métiers de plus
en plus restrictifs et spécialisés : les concepteurs de ressources se distinguent de ceux qui seront chargés de les prescrire, les tuteurs en ligne ne sont pas les évaluateurs, les formateurs à
distance ne sont jamais sur les terrains, occupés par des animateurs de sites, les techniciens ne font que des dépannages techniques, etc. La variable stratégique dans la transformation des
systèmes de formation est donc déterminante et ne peut en aucun cas reposer sur les épaules des seuls formateurs.
Frédéric Haeuw