Quelles sont les dix choses qu’on ne fait plus (ou moins) depuis que l’on a des écrans ? C’est la question intéressante que pose aujourd’hui Marine Le Breton, dans un article du Huffington Post. Dépêchez-vous de le lire, car les publications du Huff. sont éphémères. Mais rassurez-vous, je résume ici et j’en profite pour me livrer à une petite introspection.
1- On ne lit plus dans certains endroits. Bon, là, la photo est explicite, il s’agit d’un endroit où l’on ne passe généralement pas plus de cinq minutes (quoique !). Pas d’accord pour ce qui me concerne : moi, je n’y lis pas mais j’y fais des mots fléchés, et pas sur écran … au passage c’est une vraie aventure collaborative car les visiteurs successifs du lieu (nous ne sommes que deux à la maison) s’échinent sur la même grille, et un mot placé par l’un débloque le jeu pour le suivant. Quant à la lecture, je reste réfractaire au livre électronique : c’est mon dernier ilot de résistance au numérique.
2- On ne se perd plus. Oui, c’est vrai, pour moi qui n’ai pas le sens de l’orientation, les Tom Tom et autres applications sur Mobile sont une bénédiction … jusqu’à ce que la batterie nous lâche, ce qui m’est déjà arrivé, rappelez-vous. L’auteur de l’article déplore la perte de l’errance car, et je suis d’accord avec elle, « se perdre a également l'avantage de laisser notre esprit vagabonder au rythme de nos pas ». Mais on se perd aussi sur les écrans. Une recherche sur Internet peut nous mener bien loin de notre point de départ, on ne trouve pas toujours ce que l’on cherche, parfois on trouve ce que l’on ne cherche pas, parfois encore on perd ce qu’on était venu y chercher, mais ces errances numériques sont aussi fécondes : ce que l’on nomme sérendipité est la redécouverte des chemins de traverses …
3- On ne regarde plus autour de soi. « Regarder les gens dans la rue, leur sourire, admirer les paysages ou l'ambiance d'une ville qui se réveille, sont des choses que nous avons oublié de faire, les yeux rivés sur nos écrans ». Pas sûr, si j’en crois les nombreuses photos, admirables, que partagent mes « amis » sur Facebook et qui me font voyager avec eux le temps d’un instant.
4- On ne connait plus l’ennui. Parce que les écrans nous connectent en permanence et nous ouvrent de multiples occasions de combler le temps vide ? Oui peut-être … mais bon, une fois que j’ai lu Le Huff, le Monde, que j’ai parcouru mon mur Facebook, que j’ai ouvert trois fois ma boite mail en cinq minutes, je finis quand même par m’ennuyer, sans avoir pour autant le sentiment « de saisir le temps dans toute son épaisseur et sa couleur ». Comme disait Woody Allen, c’est long l’éternité, surtout vers la fin !
5- On ne se souvient plus des numéros de téléphone. Oui en effet et, si j’en crois Michel Serres, cette externalisation rend le cerveau plus disponible pour autre chose, alors profitons-en.
6- On ne s’appelle plus, on envoie des mails ou des textos. Oui ça c’est vrai pour ce qui me concerne. Et alors ? Un texto peut être aussi une « œuvre poétique » et un tendre message nous fait retrouver les émotions oubliées (à cause du téléphone, le vrai), des doux échanges épistolaires d’antan. Bon, d’accord, c’est sans doute plus difficile de s’endormir avec sa tablette sous l’oreiller ou de la dissimuler dans son corsage, comme jadis les mots d’amour…
7- On n'a plus peur de tomber sur la mauvaise personne. Dont acte.
8- On ne fait plus d'albums photo (ni de DVD souvenir). Oui c’est vrai, et c’est dommage. Engrangées dans un ordinateur personnel, les photos (sauf celles que l’on partage sur Facebook !) deviennent personnelles et on a perdu le plaisir de feuilleter ensemble les albums au coin du feu.
9- On n'a plus de vraies discussions. "Est-ce que je vis vraiment dans un monde où je préfère m'assurer qu'un parfait inconnu me suit sur Twitter plutôt qu'accorder toute mon attention à la personne que j'appellerais pour me tirer d'affaire si jamais je me faisais arrêter? Quelque chose ne va pas dans ce scénario". Cela peut m’arriver, en effet, je plaide coupable. Mais je me soigne : lors des vacances, j’ai diminué par dix (au moins !) la fréquence de consultation de mon portable pour être plus proche de mes proches. Et puis, on peut aussi avoir de vraies conversations sur Internet, non ? Là aussi c’est discutable : je pense que la régularité des échanges est un avantage mais que la profondeur y perd au change …
10- On ne reste plus dans l'ignorance. « On a oublié ce que c'était, de ne plus savoir. De devoir attendre pour avoir des réponses. On a tout à portée de main. Et c'est bien». Alors là, je suis pleinement en accord avec l’auteur. Avoir le savoir à portée de main est une immense chance et une formidable opportunité de s’enrichir, de grandir dans la connaissance, de développer son érudition, une question en entrainant une autre. Avec juste un petit bémol : il me semble que nous ne sommes pas tous égaux dans cette aptitude à questionner, et que cette différence tient, entre autre, à nos conditions sociales. Le seul fait de rendre disponible des biens culturels ne préjuge pas de leur utilisation par chacun. Si les écrans apportent une voie de démocratisation du savoir, la médiation et l’accompagnement aux usages restent nécessaires pour éviter que ce bien commun ne soit confisqué au profit d’une élite.