Le e-learning, et sa version française, la formation ouverte et à distance, ont longtemps été des palliatifs à la forme de formation des adultes dominante qu’est le stage en présentiel. De même, l’intégration des technologies en formation initiale est restée affaire de pionniers, la majorité des enseignants délaissant ces technologies au profit des méthodes traditionnelles.
Autant par manque de compétences que par frilosité, voire mus par une volonté de sanctuariser les lieux éducatifs et de ne pas laisser entrer à l’école le monde industriel. Il y a quelques années, la société Intel, porteur d’un vaste programme d’informatique éducative à l’école[1], s’est vu refuser l’entrée de nombre de salles de classe sous prétexte que leur projet cachait des intentions commerciales inavouées. Procès absurde quand on sait qu’Intel ne vend rien aux clients finaux mais équipe simplement les ordinateurs en micro processeurs.
Face à la montée exponentielle des technologies dans nos vies, on pouvait toutefois s’attendre à un sursaut des professions éducatives, mais le changement est venu des formés eux-mêmes. C’est par les étudiants, aujourd’hui massivement équipés, que les ordinateurs ont fait leur entrée à l’université. C’est par les formés eux-mêmes, notamment ceux de la génération Y, férus de réseaux sociaux, que Facebook ou Twitter sont apparus dans les centres de formation. Les formateurs, les enseignants doivent faire face à cette réalité incontournable : la perte du monopole de l’expertise, la concurrence de Wikipédia et autres sites en ligne sur leurs interventions magistrales, l’intrusion « de la vraie vie » dans les espaces d’apprentissage.
Faut-il s’en réjouir ? Pour les tenants d’une approche académique, positiviste, le loup est dans la bergerie, le règne de la futilité et de l’approximation s’étend, et il convient de lutter contre cette intrusion en démontrant la non crédibilité des informations glanées sur le net, en traquant les copiés collés vides de sens dans les devoirs, en déplorant le manque d’efforts manifeste et le dilettantisme incompatible avec la construction durable d‘une pensée logique. Quitte à piéger Wikipédia pour en démontrer la vacuité, tel cet enseignant qui, il y quelques mois, créa de toutes pièces de faux commentaires sur un poète inconnu pour avoir le plaisir de piéger ses élèves qui avaient abondamment copié son invention dans un devoir. C’est dire à quel point la guerre est ouverte ! Pour les tenants d’une approche constructiviste et individualisée, les technologies sont au contraire une opportunité nouvelle de penser autrement la pédagogie et de balancer cul par-dessus tête les organisations ancestrales. C’est ainsi que les expériences telles que les « classes inversées », dans lesquelles le temps de classe est consacré aux travaux en petits groupes et au soutien personnalisé, tandis que les cours sont dispensés en amont par le dépôt de vidéos sur Youtube, rencontrent un incontestable engouement[2].
Mais qu’apportent réellement Internet et plus spécifiquement les réseaux sociaux à l’apprentissage des adultes comme à celui des enfants ? Pour internet, c’est à peu près clair : l‘accès à une source inépuisable d’informations, de ressources en ligne, de bases de données tel que l’INA par exemple, transforme le rapport au savoir. Avec une telle profusion, les élèves sont en prise directe avec le savoir et l’enseignant devient celui qui doit en faciliter l’accès, en développant l’esprit critique et l’esprit de synthèse, en accompagnant à la navigation et à la curation, en aidant l’apprenant à identifier les sources les plus fiables, en valorisant les œuvres originales à contrario de la simple compilation de données brutes. Il devient le passeur, l’accompagnateur, le pédagogue au sens premier du terme. Il peut ainsi permettre aux apprenants de développer progressivement leur autonomie et favoriser l’émergence de compétences durables à la formation tout au long de la vie.
Concernant les réseaux sociaux, la réponse est moins évidente. Encore une fois, les traditionnalistes diront que depuis des décennies, on apprend sans se déplacer, dans une salle de classe ou dans un centre de formation et cela se passe bien comme cela ! Pourquoi faudrait-il alors maintenant un réseau pour mieux apprendre ? On pourra rétorquer qu’historiquement, la formation n’est pas aussi statique que cela. En réalisant leur Tour de France, les Compagnons du Devoir, par exemple vont, durant deux années pleines, à la rencontre des experts, forgeant ainsi leur propre expertise, développant par la même la débrouillardise nécessaire à ceux qui voyagent et intégrant les valeurs morales propres aux métiers. Dans les temps reculés, les fils de bonne famille étaient fréquemment invités à poursuivre leurs études loin de chez eux et à fréquenter les facultés étrangères. Plus proche de nous, le programme Erasmus favorise chaque année la confrontation à d’autres cultures de plusieurs centaines de milliers d’étudiants, contribuant ainsi à la construction européenne et produisant des individus polyglottes et ouverts sur le monde.
Les réseaux sociaux ont donc pour premier avantage d’ouvrir à cette curiosité culturelle et sociale sans quitter son village. Facebook, dont on peut déplorer la pauvreté apparente des échanges, est un monde en soi, que d’aucuns, et en premier lieu son créateur, Mark Zuckerberg, considèrent comme le « 3ème pays le plus peuplé du monde », avec ses propres codes sociaux et ses signes d’appartenance. Notons d’ailleurs que cette futilité n’est pas en soi à rejeter : comme l’évoque le psychologue Yann Leroux[3], si la plupart des échanges sur Facebook n’ont souvent aucun intérêt intellectuel apparent, c’est qu’une part de la fonction phatique du langage est prise en charge par nos ordinateurs. Parler pour ne rien dire, ou de sujets sans intérêt, voire simplement « pour rire » sont des formes essentielles des échanges sociaux. Mais quoiqu’il en soit, il est de la responsabilité des enseignant d’aider à tirer le meilleur profit de ces réseaux, en diversifiant les contacts pour ne pas se cantonner à une forme de consanguinité, et en proposant des usages inédits. C’est ainsi par exemple que des enseignants développent avec Twitter des productions littéraires collectives entre différentes classes, la twitterature[4], réinventant avec les moyens modernes les principes de l’Oulipo de Raymond Queneau ou celui des cadavres exquis des surréalistes. Les possibilités de rencontres sur les réseaux sont infinies, et favorisées par la diffusion réticulaire des contacts. Même si ces échanges entre cultures différentes n’aboutissent pas toujours réellement, notamment à cause de la langue, cette possibilité est intégrée par les utilisateurs de Facebook qui prennent conscience de la dimension mondiale de notre existence. Pour reprendre les mots d’Edgar Morin[5], les réseaux sociaux contribuent donc à développer notre identité terrienne, en éliminant les distances géographiques.
Mais par ailleurs, un autre effet, qui peut paraitre paradoxal, est que les réseaux offrent aussi la possibilité de mieux vivre dans son environnement local. Il est attesté que les jeunes utilisent avant tout Facebook, Twitter ou autres SMS pour rester en contact avec les personnes avec qui ils ont été en classe dans la journée. A l’université, les étudiants les utilisent pour travailler ensemble après les cours, s’entraider, échanger des documents ou des liens sur le net entre les séances en amphi. En formation d’adultes, le formateur prolongera son intervention en restant en contact avec ses apprenants pour proposer des ressources complémentaires, aider à la réalisation d’activités, accompagner l’application sur le poste de travail. En entreprise, les réseaux sociaux professionnels apportent des réponses quasi immédiates aux difficultés rencontrées dans l’exercice professionnel, sans jugement de valeur. Dans la vie de quartier, les réseaux sont utilisés pour renforcer les initiatives locales, rappeler des évènements à venir et leur offrir un prolongement par la publication des photos, des récits, des articles de presse, etc. En clair, le groupe social local est ainsi prolongé au-delà des frontières temporelles habituelles et Internet, réseau mondial, permet de renforcer son efficacité dans son entreprise, dans son quartier, dans son centre de formation.
Enfin, le dernier effet notable des réseaux est qu’ils permettent de renforcer son identité personnelle et professionnelle. Dans mon espace privé, ce que je publie, ce que j’aime, ce que je donne à voir de moi-même, mon réseau d’amis, ce que ces mêmes amis disent de moi ou les informations qu’ils relaient à partir de mes propres publications … tout cela en dit long sur l’image que je souhaite donner et donc, in fine, sur ce que je suis. A propos des blogs personnels, Serge Tisseron[6] invite à les considérer comme une vitrine sociale. C’est ce qu’il nomme l’extimité, c’est-à-dire le fait de déplacer certains éléments strictement personnels dans le domaine public, avec le souhait qu’il en résultera une intimité plus riche et des liens nouveaux. De même, dans mon espace professionnel, je peux être reconnu par mes pairs et ce que je publie sur les réseaux contribue à mon expertise et à la reconnaissance de cette expertise, ce qui renforce mon sentiment de compétence et mon employabilité.
C’est, finalement, une forme singulière d’autoformation, dans le sens littéral de se « doter de sa propre forme », à laquelle nous assistons. Accompagner cette émergence est aussi l’une des missions des espaces éducatifs, en formation initiale comme en formation continue, à laquelle contribuent les réseaux sociaux.
en complément de cet article, je vous invite à prendre connaissance du diaporama "du bon usage de facebook et autres réseaux sociaux en formation" que j'ai présenté ce lundi lors d'une formation pour le Centre de Ressources Illettrisme d'Aquitaine
[1] L’école du futur
[2] Voir notamment les travaux de Marcel Lebrun http://lebrunremy.be/WordPress/?p=612
[3] Cité par InternetActu
[4] Voir notamment http://www.educavox.fr/innovation/pedagogie/article/une-activite-de-twitterature
[5] Morin E., 1999, les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil
[6] Tisseron S., 2001, l’intimité surexposée, Paris, Ramsay