La reconnaissance de la formation des adultes comme champ de pratiques professionnelles avérées et reconnues passe avant tout par le fait que celle-ci représente une activité économique conséquente : En 2009, 31,3 milliards d’euros ont été consacrés à la formation professionnelle continue et à l’apprentissage, soit 1,6 % du PIB (produit intérieur brut) et 15 447 organismes de formation continue ont réalisé un chiffre d’affaires de 7 milliards d’euros.
Par ailleurs, cette activité se déploie dans un arsenal de lois et de mesures, sans cesse en évolution depuis la loi fondatrice de 1971, qui, selon le statut des personnes (demandeurs d’emplois, salariés, apprentis) affectent des droits à la formation, mobilisables tantôt par le salarié lui-même (DIF, CIF), tantôt par les entreprises, avec une obligation de dépense fixée par la loi, tantôt par les organismes chargés de l’insertion professionnelle.
Pour les organismes de formation, les obligations qui encadrent leurs activités restent souples et peu contraignantes ; les démarches qualité peinent à devenir la référence pour des acheteurs dont les critères restent très diversifiés. Depuis que l’Etat, avec la décentralisation, a partiellement renoncé à sa fonction régalienne, les modalités d’achat de formation sont peu instrumentées et dépendent de la culture d’origine de l’acheteur. Le code des marchés publics, par exemple, est sans doute mieux adapté à l’achat de travaux publics qu’à l’achat de formation.
Du point de vue des acteurs (formateurs et dirigeants d’organisme), la professionnalisation doit beaucoup à l’import des pratiques d’ingénieries issues du monde industriel. La notion d’études de besoins, de cahiers des charges, de dispositif, de ressources pédagogiques, d’évaluation de la satisfaction … jouent un rôle majeur dans la structuration des activités de formation et ont permis aux formateurs de passer progressivement d’une pratique informelle et artisanale, notamment celle du champ social et de l’éducation permanente, à une organisation formelle, voire industrielle.
Du côté des fondements théoriques, qui est l’autre élément marquant l’évolution d’une activité vers la professionnalisation, de nombreuses études et recherches permettent de penser la formation des adultes dans un corpus théorique adapté (l’andragogie) même si celui-ci doit encore beaucoup aux sciences de l’éducation et aux sciences cognitives en général, davantage tournées vers la compréhension des phénomènes sociologiques et psychologiques en jeu dans l’éducation des enfants et adolescents que dans celle des adultes.
Or cette double dynamique de professionnalisation du secteur de la formation, ingénierie d’une part et sciences cognitives de l’autre, présente un singulier paradoxe : d’un côté les systèmes de formation sont de plus en plus perfectionnés et instrumentés, conçus pour des apprenants types et laissant peu de place à l’improvisation ; de l’autre les études sur les processus d’apprentissage des adultes, notamment les courants traitant de l’autoformation ou de la formation expérientielle, montrent clairement la place prépondérante de l’apprenant dans la réussite et l’efficacité de ses apprentissages. Au-delà d’un simple phénomène de servuction (participation de l’usager au service), on pressent bien que des cadres imposés et stricts bloquent l’apprentissage plutôt qu’ils ne le facilitent.
Pour dépasser ce paradoxe, deux pistes s’offrent à nous. Une approche endogène consisterait à allier la rigueur nécessaire à la mise en œuvre de dispositifs articulant habillement ressources, technologie et encadrement formatif, et la souplesse et la flexibilité permettant à l’adulte de butiner, de naviguer à sa guise dans cet environnement, selon ses habitus, ses modes d’apprentissage privilégiés, son projet professionnel et son projet de vie. Autrement dit rendre ses lettres de noblesses au concept d’ouverture souvent mal compris par les techniciens de la formation ouverte et à distance.
Une autre piste de réflexion, exogène, serait d’articuler des formes organisées de formation, dispositifs proposant des moments formatifs plus ou moins longs, liés à des objectifs spécifiques, professionnels ou non, et des temps de réflexion plus personnelle, de bilan de parcours, de métacognition, d’écriture praticienne … dans lequel chacun pourrait être accompagné quand il le souhaite, dans une démarche visant à relier entre eux les différents moments durant lesquels il se forme : que ce soit au travail, avec ses pairs, en aidant ses enfants à l’école, en butinant sur la toile, en agissant dans ses différentes sphères personnelles et professionnelles, etc. Autrement dit relier les fils de sa propre autoformation, formelle, informelle, expérientielle, pour se les réapproprier, les mettre en forme, et par voie de conséquence se « doter lui-même de sa propre forme », en donnant à voir ses compétences et connaissances. A cet égard, le droit à la formation pourrait même rester pour une part lié au statut, et pour une autre part être lié à la personne, pour lui permettre de se former tout au long de sa vie.
Frédéric Haeuw, en collaboration avec Aurélia Dehesdin