C’est un bonheur de voir une région s’emparer d’un tel sujet, et donner à l’ensemble de ses habitants, tout âge confondu, la possibilité d’accéder à un outil de capitalisation et de valorisation de leurs compétences. Ce n’est pas très étonnant de la part d’une région qui a toujours été novatrice dans le traitement des crises industrielles qui l’ont traversées. Je pense ici à la filiation du e-porfolio avec les "actions collectives de formation" de Bertrand Schwartz, dont le nom a été évoqué, mais également aux nombreuses initiatives liées à l’usage des technologies, auxquelles la pugnacité d’Inffolor n’est sans doute pas étrangère. Le président de Région a d’ailleurs rappelé le souci constant d’éviter que « le travail en miette ne conduise à un travailleur en miette ».
J’ai particulièrement apprécié la présentation de Josette Layec, de l’institut MCVA, qui a retracé la genèse des e-porfolio, d’un colloque sur les histoires de vie à l’abbaye de Fontevraud en 1898 à la loi de modernisation de 2002 et la relance du sujet par les partenaires sociaux, en passant par le Quebec et les expérimentations en Poitou-Charentes dans les années 90. Elle a synthétisé les finalités en trois axes : capitaliste au sens de capitalisation, afin de faciliter les transactions avec les environnements professionnels, par le traçage de son patrimoine professionnel ; formative, afin de faciliter l’appropriation des processus éducatifs et la transférabilité entre les domaines professionnels ; et enfin existentielle, pour permettre la réappropriation de son expérience et l’accompagnement des transitions personnelles et professionnelles.
A cet égard, il me semble que le e-porfolio, du point de vue existentiel, est aussi une manière de se revendiquer d’une identité culturelle, professionnelle, sociale, et pas seulement en cas de transition pour solder une étape de sa vie et en aborder une autre.
C’est pourquoi je reste un peu sur ma faim sur le sujet de l’interopérabilité et de la portabilité du e-porfolio, qui a été un peu évoquée dans l’un des ateliers, mais passée sous silence lors de la synthèse, qui, au passage, ressemblait davantage à une hagiographie qu’à une mise en débat.
La question est en effet, de mon point de vue, de savoir comment la personne va pouvoir exporter ou importer des éléments de son e-porfolio dans d’autres univers, professionnels ou régionaux, et faire d’un outil qui est fortement coloré par la Région qui l’a produit (y compris dans son nom, lorfolio), le support de son identité numérique, tout au long de sa vie, qui va sans doute le conduire dans d’autres contrées, dans d’autres environnements. C’est une question technique, et le travail de l’ISO sur la normalisation des e-porfolio à l’échelle mondiale a été évoquée, mais aussi et surtout philosophique. La réussite d’une telle ambition suppose que les instances originelles s’effacent pour laisser à la personne le droit de mettre en avant telle ou telle influence, telle ou telle étape constitutive de son identité, qu’elle soit liée à l’endroit d’où elle vient, ou à ses expériences professionnelles, culturelles, sociales, familiales.
Pour que le e-porfolio soit l’outil de production « de sa propre forme », au sens où l’entend Gaston Pineau, il faut que l’autonomie soit comprise dans toute sa plénitude, y compris en intégrant le droit à l’oubli. Faute de quoi, il restera comme un outil de plus de gestion des trajectoires à destination des institutions dédiées au traitement de la précarité, et non comme un outil facilitant "l’émergence du sujet social apprenant", chère à Joffre Dumazedier.