J’ai connu cette semaine une grande déception … presque une déception amoureuse à vrai dire, tant, lorsque je suis seul dans ma voiture chaque semaine pour me rendre à mon travail (presque trois heures de route entre mon domicile et mon bureau), la voix de Patricia Martin, de cinq à sept heures sur France Inter, m’enivre et me permet de voguer dans de douces rêveries, et d’espérer, en dépit de la sauvagerie de l’actualité, en un monde chaleureux, où domine une présence rassurante et bienveillante, attentive à mon bien être.
A part celle de Marie Pierre Planchon, au temps de la merveilleuse autant qu’absconse ex. metéo marine, sur la même antenne à vingt heures tapantes – dont j’écoutais alors presque religieusement la poésie intrinsèque (alors que d’autres, non néophytes, en déduisaient sans doute leurs caps pour les heures à venir !), aucune voix, aucune présence virtuelle ne m’est aussi précieuse que celle qui m’accompagne sur le chemin de mon labeur, à cette heure où j’oscille encore entre veille et demi-sommeil.
Or voilà que ce mercredi, Patricia Martin, pour une raison encore inexpliquée, manqua à l’appel. Ce n’est pas tant cette absence, après tout excusable en ces temps de grippe H1 N1, qui me blessa, que la mise en évidence d’une tromperie quotidienne : en effet, bien qu’absence ce jour là, Patricia Martin anima d’une voix bien assurée, l’un des rendez-vous téléphoniques matinaux dont je compris alors qu’ils étaient enregistrés. Moi qui m’imaginais que les réalisateurs ou autres écrivains connus prenaient la peine de se lever matin, vers six heures trente, pour s’adresser à moi, par l’intermédiaire de Patricia, me voici, Gros-Jean-comme-devant, dupé depuis des années ! Je dus me rendre à l’évidence qu’une ou plusieurs parties de l’émission étaient enregistrées, et que Patricia, durant le temps de ces diffusions, m’abandonnait à une chimère.
Cette supercherie, car c’en est une, me fit alors douter de la réalité du monde sensitif … si ce que j’entends n’est pas la réalité, qu’en est-il alors de ce que je vois, de ce que je sens, de ce que je perçois ? Puis-je avoir foi en ma perception ou vivre sur le régime du doute raisonnable ? Qu’en est-il de la réalité de la réalité ? La réalité existe-elle en soi ou n’est-elle qu’une construction intellectuelle individuelle, à partir de sa propre histoire, de son vécu, de sa culture, de son projet ? Autrement dit une représentation qui convient à ce que je ressens - et qui me rassure - mais qui n’est qu’une représentation possible parmi une infinité d’autres, qui me va bien parce qu’elle colle à mes affects du moment, mais qui est aussi éphémère qu’une voix, le matin, entre cinq et sept…
Le doute est permis ….
Pour approfondir ce thème, je vous invite à la lecture des écrits de Ernst Von Glaserfeld, notamment son introduction du constructivisme radical, dans laquelle il explique que "la connaissance ne reflète pas une réalité ontologique objective , mais elle concerne exclusivement la mise en ordre d’un monde constitué par l’expérience". In : Paul Watzlawick, L’invention de la réalité, contributions au constructivisme, Editions du Seuil, paris, 1988