«Gardons notre capacité d’émerveillement face à ce que sont capables de faire les personnes à qui nous destinons nos dispositifs de formation…». C’est ce à quoi nous a exhorté Valérie Bénard, vice-présidente de la Région Réunion, lors des assises régionales de l’illettrisme ce lundi 27 mai 2013. Même sans ce conseil, c’est toujours avec un regard neuf et curieux que j’aborde tout nouveau secteur qu’il m’est offert d’approcher.
Expert désigné par l’ANLCI dans le cadre du Forum 2.0 pour accompagner les Cases à Lire de la Réunion, afin de produire un guide de démultiplication, je suis donc allé cette semaine à la rencontre des animatrices et bénéficiaires de ce dispositif. Réparties sur tout le territoire de la Réunion, au plus près des populations visées, les Cases à Lire proposent aux jeunes et adultes en difficulté de lecture-écriture ou en rupture avec les apprentissages classiques, une réponse de proximité visant la réconciliation avec l’écrit et la reprise de confiance en soi, au travers de projets culturels et ludiques.
Que la Région ait confié cette responsabilité aux acteurs de l’Education populaire n’a rien d’étonnant ; de prime abord, la filiation avec les idées que pouvait, par exemple, mettre en œuvre Bertrand Schwartz dans les années 70 avec les actions collectives de formation est évidente. Au même titre que nous proposions alors des actions de « coupe couture » et de « mécanique auto » pour inciter les personnes à venir en formation et prendre à cette occasion conscience de leurs besoins, c’est bien la même idée qui prévaut ici : répondre aux premiers besoins exprimés, conscientisés et aborder, presque sans y toucher, les questions de lecture, d’écriture, de calcul, d’informatique.
Les Cases à Lire sont peut-être comme la femme inconnue dont rêvait Verlaine, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. Elles sont singulières dans leur déclinaison, en fonction des publics qui les fréquentent, mais aussi de la culture de structure porteuse et des gouts et compétences particulières de l’animatrice. Ici l’informatique sera mise au centre, là le jeu, là encore la musique ou le slam, et toujours avec une ouverture sur la lecture, sur l’apprentissage, sur les compétences de base. Sans doute, dans le travail que nous aurons à faire ensemble, faudra-t-il identifier les lignes directrices qui les traversent, les points de convergence, les pistes d’amélioration, autrement dit harmoniser sans pour autant tomber dans la normalisation. Les questions que je me pose aujourd’hui sont nombreuses et il faudra y répondre ne serait-ce que pour garantir la pérennité économique de ce dispositif.
Mais ce n’est pas le plus important à ce jour. Ce qui compte avant tout, au-delà de ces disparités, c’est que les Cases à Lire sont des lieux d’espérance et de confiance. J’ai vu dans le regard de ces hommes et de ces femmes, souvent malmenés par la vie, la fierté du chemin parcouru et la dignité retrouvée. Écoutons Bernadette nous parler de sa sortie en montagne :
« Pendant notre marche
Sur les Sentiers des Anglais
C’était très très dur la montée
Sur les galets
Mais nous la persévéré, nous lé arrivé »
Écoutons Nathalie nous dire comment le Slam lui a permis de trouver le chemin des mots :
« Depuis que je fais du Slam, je respire
Mon cœur s’est ouvert comme un livre,
J’étais comme un être sans âme, un feu sans flamme !
Les mots étaient cachés dans un tiroir, dont j’avais perdu les clefs.
Je l’ai retrouvé dans une armoire, elle m’attendait sur le papier
Depuis, je suis comme un aveugle qui se met à voir
Les phrases ne cessent de couler maintenant,
Aucun obstacle, aucun barrage ne pourra les arrêter
Elles se bousculent, je bascule,
Je vous prie de me croire ! J’ai beau les supplier d’arrêter, pour que je puisse me reposer
Mais elles ne veulent pas m’écouter
Mais vous ! Écoutez-moi SVP
Ne fermez pas la case à lire..
Mon cœur serait brisé… et je ne pourrai plus respirer !!! »
Écoutons Marie Lyne nous dire ce qui le calcul lui dit d’elle-même :
« Compter, additionner, soustraire, multiplier, diviser
Nos chiffres n’ont pas de prix
Nos nombres ne sont pas petits
Pas de supérieurs, Ni d’inférieurs
Mais tous égaux à la CASE A COMPTER »
On pourra me reprocher d’avoir l’émotion facile et les esprits grincheux diront que tout dispositif qui s’intéresse un tant soit peu aux personnes produira des effets similaires, en fonction de l’effet Pygmalion. Peut-être. Mais dans le paysage mouvementé, numérisé, aseptisé … de la formation des adultes, je retrouve dans ces lieux la vocation très humaniste qui m’a fait prendre cette voie professionnelle il y a maintenant près de trente ans et qui me rassure quant à l’avenir de la formation comme espace de réalisation de soi. Et aussi, plus personnellement, sur ma capacité intacte d’émerveillement