Adrien m’avait prévenu : tu verras, la vie n’est plus la même avec un iPhone ! Et il m’arborait alors, tel un prestidigitateur sortant des lapins de son chapeau, des photos, des jeux, des applications diverses, avec une vitesse qui ne me permettait pas de voir grand-chose et une dextérité qui me faisait craindre pour lui une inflammation de son pouce droit ! Pour ceux qui n’ont pas suivi les épisodes précédents, nous sommes actuellement en train de développer un « social game » pour téléphone mobile en direction des assistants de vie, et en tant que chef de projet je dois me familiariser avec cet outil, dont m’a logiquement doté mon employeur. C’est donc avec une certaine appréhension que je m’appropriais ce qui allait devenir un prolongement de moi-même. Selon Michel Serres, en effet, l'homme serait un animal déspécialisé et l'outil qui prolonge sa main le spécialiserait particulièrement. Chouette, ma vie allait changer ! Mais est-ce qu’elle serait mieux qu’avant ?
Alors voilà, quelques mois se sont passés durant lesquels j’ai appris à me servir de cet outil. Je l’ai même emmené avec moi en vacances (au fait, vous avez remarqué ? j’arrive toujours à parler de mes vacances dans mes chroniques professionnelles !). Ma vie est-elle différente ? En quoi me suis-je spécialisé ? D’abord, il est vrai que mon iPhone est devenu un prolongement de moi-même. Je l’ai toujours sur moi, à portée de main, je le caresse, je l’ouvre, le referme, sa présence m’est devenue quasi indispensable. Sans aller jusque parler d’objet transitionnel, on n’en est pas très loin. Mon portable m’aide à gérer l’absence de mes proches, même quand ceux ci ne m’appellent pas. Mais ils pourraient le faire, à tout moment et ça c’est rassurant.
Ensuite, je suis devenu imbattable sur la navigation pédestre : je suis la petite boule bleue qui va à la rencontre de la petite boule rouge et hop, je ne me perds plus jamais ! Sauf que j’ai eu un petit souci à Avignon cet été : j’avais marqué le nom de la rue où j’avais garé la voiture sur mon iPphone mais, manque de bol, après une journée de festival, les batteries étaient à plat. Et donc nous avons dû tourner pendant des heures. Mais bon, j’avais toujours mon objet transitionnel en main, et ce contact m’aidait à restreindre mon angoisse, même si au fond de moi je regrettais un tout petit peu de ne pas avoir inscrit l’adresse sur un bout de papier. Après j’ai déposé mon iPhone dans la voiture et je n’y ai plus touché jusqu’au lendemain.
Je suis devenu aussi expert en sms. J’aime bien ce mode de communication ; des petits messages brefs, avec une réponse immédiate et directe. On en vient à attendre le petit bip avec impatience. En plus, comme on peut sauvegarder les messages, cela permet de relire le fil d’une discussion et de se remémorer le lieu, l’évènement, comme un souvenir fugace de son histoire récente.
Bien sûr, il y a les mails. Bon là, je suis plus dubitatif. C’est bien de pourvoir rester en contact, mais c’est un peu gênant en vacances, car le travail a tendance à vous rattraper. Déjà avant, je ne passais pas trois jours sans aller consulter ma boite, mais là c’est plusieurs fois par jour et bien sûr après on a envie de répondre, même devant un beau paysage. Et parfois, on se souvient des grandes évadées saisonnières du temps jadis où on ne retrouvait le travail qu’à la rentrée, et où la première journée était consacrée à la lecture des courriers et des cartes postales des collègues. Enfin on perd moins de temps et c’est mon employeur qui est content !
Après, quoi ? Internet bien sûr, à tout moment pour vérifier l’écriture d’un mot au scrabble, pour rechercher l’historique d’un lieu ou d’un monument lors de notre passage (ah, le palais idéal du facteur cheval !), pour trouver un bon restaurant. Les applications ? C’est pas trop mon fort, j’ai du mal à savoir de quoi je pourrais avoir besoin, hormis les réservations sncf, la presse, la radio. Ah si, tout de même, géniale l’application du festival d’Avignon pour trouver les spectacles au bon moment et au bon lieu. Encore une fois, la petite boule bleue qui rencontre la rouge …
Alors voilà, c’est à peu près tout. Ma vie n’a pas tellement changé, au fond. Mais je sais pourquoi : c’est parce que je n’ai pas encore d’iPad, parce que là vraiment, comme me dit Adrien, tu vas voir, il y a une vie avant et une vie après …