Me voici cette semaine de retour à La Réunion, pour moi terre d’affection, qui me replonge comme chaque fois dans un monde si proche et si différent de celui dans lequel j’évolue habituellement. Si proche car on y retrouve dès la sortie de l’avion les excès asphyxiants de la culture consumériste occidentale (les grandes surfaces, l’usage abusif de la voiture à la fois comme moyen de locomotion individuel et signe extérieur de richesse …), mais si différent dans la manière de construire les rapports sociaux.
L’un de mes premiers reflexes est de me brancher sur Radio Free Dom (car moi aussi, bien sûr, et, comme vous l’imaginez bien, uniquement par obligation, je privilégie la voiture individuelle !) qui est l’une des nombreuses radios populaires qu’affectionnent les réunionnais. Trente ans après l’avènement des radios libres, qui a conduit à ce que l’on connait, c'est-à-dire un rattrapage par cette même société de consommation, Radio Free Dom me donne à entendre ce qui était peut-être l’intention portée, en 1981, par les tenants de la libération des ondes.
Radio presque sans musique et sans publicité, sur laquelle toute la journée les auditeurs appellent les animateurs, qu’ils tutoient comme des membres de la famille, pour échanger ou donner leur avis, souvent en créole, sur un sujet de société. Parfois aussi médire sur leur voisin, car le pire côtoie le meilleur, mais aussi et surtout pour s’entraider : signaler un accident de circulation, alerter sur la disparition d’un adolescent, prévenir que l’on a trouvé des papiers d’identité, recevoir des conseils juridiques, donner des avis de décès et indiquer l’heure de la sépulture, ou encore apporter son soutien dans un élan naturel, spontané et purement gratuit. Cela donne des moments très émouvants, par exemple lorsque cette auditrice, nous tirant des larmes, témoigne de son malheur de femme battue et reçoit en retour de nombreux appels de solidarité et d’encouragement, ou comme lorsque ce conducteur (véridique !) s’arrête pour tenter de discuter avec un homme qui veut se jeter d’un pont et nous fait vivre, sans voyeurisme, le drame en direct. Témoignages et interventions courtes la plupart du temps, qui ne permettent sans doute pas un débat profond, bien qu’ils puissent parfois donner lieu à de véritables échanges à distance, par l’intermédiaire de l’animateur, au cours de la journée ou même de la semaine. Certains, par la fréquence de leurs appels, devenant même des experts en polémique !
A l’heure de twitter et des réseaux sociaux numériques, dont l’indigence des échanges évoque plus souvent l’image du vide sidéral que celle de la profondeur de l’âme, Radio Free Dom donne, pour le coup, un exemple concret de média communiquant au service des habitants d’un petit territoire. Média populaire, que certains, de part les excès induits par la liberté de parole, qualifieront sans doute de populiste, mais totalement investi par les auditeurs, acteurs et inventeurs d’une nouvelle manière de vivre ensemble, de se reconnaitre dans une identité commune, en dépit de leurs différences d'ages, de races, de cultures, de religions et de perpétuer l’art, si prononcé en Réunion, de la conversation.