Lors de la séance de travail avec les CFA d’Aquitaine que j’ai co-animée ce mercredi 19 octobre, j’ai évoqué la notion de congruence, et j’aimerais y revenir.
La congruence pédagogique, pour faire simple, est l’absence de distance entre les valeurs de l'enseignant en tant que professionnel et celles de l'enseignant en tant que personne. Elle se traduit notamment par une harmonisation entre le fonds et la forme de son intervention. Autrement dit, si je veux faire passer l’idée que les apprenants doivent être autonomes dans leur apprentissage, on ne peut leur expliquer par un cours magistral sur l’autonomie à travers les âges, mais bien en les mettant en situation d’être autonome. Si l’on veut mettre en avant l’idée que l’action prime sur la réflexion, c’est-à-dire que l’on apprend avant tout en agissant, en produisant et, bien sûr, en construisant à postériori une approche réflexive ou métacognitive sur la situation vécue, on ne peut le faire, pour être crédible, qu’en mettant les apprenants en situation de faire, de produire, puis de réfléchir sur l’action, même si l’action vise en l’occurrence à produire des outils d’organisation pour être autonome !
La non congruence est le phénomène le plus facile à percevoir pour un apprenant, ce qu’il traduit volontiers par l’expression, triviale mais réaliste, du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ! ».
En formation de formateurs, cette congruence est encore plus importante : Philippe Meirieu parle d’isomorphisme pédagogique, Bertrand Schwartz évoque pour sa part le principe de la double piste (mettre les formateurs dans les conditions d’apprenants que l’on souhaite analyser), mais cela revient à acter le principe que, dans une formation de formateurs, les participants retiennent davantage la forme de l’intervention, les postures du formateur, les outils et techniques utilisées … que le fonds. J’ai pour ma part un souvenir mémorable d’un de mes formateurs nous ayant expliqué la méthode le Xuan (décomposition d’une tâche professionnelle en micro gestes) à partir de la confection d’un nœud de cravate et j’en ai autant retenu le côté « mise en scène » - ce formateur ayant mis pour la première fois une cravate qui nous a fort intriguée toute la journée - que la méthode elle-même. Dans le même esprit, la méthode ultra répandue Métaplan, a été inventée par un cabinet de consultants qui l'a conçue pour une animation avec un client, lequel client n’a pas été forcément convaincu par l’objet de la démonstration mais a acheté et commercialisé … les droits de la méthode !
Soyons donc vigilant à toujours harmoniser le fonds et la forme, à fortiori sur les questions d’autonomie. Cela me rappelle l’anecdote que cite souvent Philippe Carré, qui, alors qu’il visitait un centre de ressources en entreprise avec le DRH entendit celui-ci interpeller un ouvrier en lui disant « n’oubliez pas, monsieur Durand, vous avez autoformation à 17 heures ! ». Nous sommes ici au mieux dans une inflation de mots et de concepts mal digérés, au pire dans une forme renouvelée d’injonction paradoxale (mais soit donc autonome !) qui enferme, volontairement ou non le salarié ou l’apprenti dans une situation inextricable : si je fais ce que l’on me demande, je ne suis pas autonome, si je ne le fais pas, je ne le suis pas non plus !