Jouer est l’une des grandes activités humaines : on joue dès l’enfance, on continue à l’âge adulte, jusqu’en maison de retraite où les activités ludiques sont particulièrement appréciées des résidents. On joue pour passer le temps, pour gagner de l’argent parfois, on joue la comédie, on joue d’un instrument de musique et on joue, aussi, pour apprendre. Nul ne peut nier que le jeu nous apprend « les choses de la vie », et qu’il nous dit autant de nous-même que de nos adversaires d’un moment.
C’est donc naturellement que les pédagogues se sont intéressés de tout temps aux jeux et il est presque étonnant que la formule du « jeu sérieux » soit encore considérée comme un oxymore alors que, bien sûr, le jeu c’est du sérieux ! Cependant, l’introduction du jeu dans les apprentissages pose deux questions, celle de la réflexivité et celle de l’effort. Pour la première : tant qu’on ne sait pas que l’on a appris, on n’a pas appris, et le défi des « serious games » est de permettre, au-delà du jeu en lui-même, cette prise de conscience des apprentissages et, pourquoi pas, leurs validations. Pour la seconde, il s’agit de rompre avec une idée répandue qu’apprendre demande des efforts, une discipline, voire une souffrance, incompatible avec une activité ludique. C’est pourtant une idée battue en brèche depuis longtemps, notamment par Ivan Illich, mais qui continue à gangréner les systèmes éducatifs. Souhaitons que les serious games attaquent de front ces défis. Ils gagneront ainsi leurs lettres de noblesse et pourront rejoindre la palanquée d’outils en tout genre dont le pédagogue s’entoure pour nous faciliter les apprentissages à tout moment, en tout lieu et en toute situation.
Ce petit préambule pour introduire le compte-rendu, forcément très sommaire, du colloque « bilan de l’appel à projets serious games » organisé par la DGCIS le 4 novembre 2011, à Paris. En 2009, l’Etat lance un appel à projet pour développer ce marché en France, 46 projets seront retenus, et la journée visait à faire un bilan d’étape.
Rappelons qu'un serious game est « une application informatique dont l’objectif est de combiner des aspects d’enseignement, d’apprentissage, d’entrainement, de communication ou d’information, avec des ressorts ludiques et/ou des technologies issues du jeu vidéo ».
C’est par une présentation du marché qu’a commencé cette journée, marché estimé en fin 2011 à 2,35 milliards d’euros et en prévision à 6,6 milliards fin 2015. 70 % du marché est américain, le marché français est quant à lui estimé en fin 2011 à 47 millions d’euros, avec une hypothèse en fin 2015 de 84 millions d’euros. Si l’on se réfère au marché global mondial de référence qui serait de 5000 milliards d’euros (si l’on agrège l’enseignement, la santé, la défense …), on ne peut que relever l’immensité des marges de progrès réalisables. En termes d’édition, une baisse significative est constatée entre 2009 et 2010, que Laurent Michaud, de l’IDATE, explique par l’augmentation de la croissance des investissements par projet, une demande moins importante que prévue (peut-être due à la moindre qualité des services offerts), une offre stimulée par l’Appel à projet, donc avec un effet moindre en 2010. Tous les segments sont concernés par cette baisse. En 2005, la majorité des titres publiés dépendent de l’enseignement et de la formation, avec un ré équilibrage en cours, notamment dans le secteur de la santé. Le coût de développement est, pour 2/3 des jeux, de moins de 50.000 euros. Aujourd’hui le marché est occupé par environ 85 concepteurs/éditeurs de SG en France, contre 350 sur les jeux vidéo. Pour Laurent Michaud, la maturité de ce marché sera atteinte lorsque ces deux marchés seront distincts.
S’ensuivit alors une table ronde, avec trois des principaux producteurs. Selon Yves Damback (KTM), le serious game est, pour les entreprises, un moyen de faire des économies en remplaçant partiellement le présentiel. Il s’étonne d’être un peu seul sur le marché de la formation professionnelle, qui représente une niche (11 milliards avec une croissance de 30 à 40 % pour le e-learning).
Frédérique Domic (Ouat) explique quant à elle que sa société vient des jeux vidéos. A l’origine, sa société a commencé par créer des jeux sociaux sur Facebook, suite à la demande d’un inspecteur d’académie de créer un jeu sur l’entreprise « Compagny » pour faire comprendre de manière ludique ce qu’est le monde de l’entreprise. Le paradoxe est que Facebook n’est pas autorisé à l’école, bien que plus de 9 élèves sur 10 soient sur Facebook. Elle estime qu’il y a un potentiel, mais que les Serious Games sont encore trop sérieux ! Elle plaide en faveur d’une « gamification » du serious gaming. Par ailleurs, la dimension sociale va être déterminante dans les années à venir, car c’est un ressort essentiel du réengagement des joueurs.
Enfin, chacun s’accorda à dire que l’interopérabilité sera la clé du succès, car les produits devront être utilisables sur tous les supports, ce qui conduira nécessairement à des partenariats industriels.
La seconde table ronde a donné la parole aux clients. Chacun a pu expliquer les raisons qui l’ont poussé à investir dans les serious games et il semble que pour beaucoup, le « ticket gagnant » serait un jeu qui réponde au besoin d’une offre globale, qui permette des économies, qui soit efficace et ancré dans le réel, et enfin qui permette la personnalisation des parcours.
Dans plusieurs des exemples présentés, l’intérêt de cette nouvelle modalité d’apprentissage est de permettre « l’intellectualisation du geste technique » et surtout l’interaction. Les actions des joueurs entrainent chez les autres une réaction, il n’y a pas de bonnes et de mauvaises solutions, le jeu est ouvert et les apprenants sont acteurs. Selon l’expression de Philippe Vrignault, de la DGCIS, le serious game est un moyen « d’engager une prise de conscience du joueur et de faire discuter les personnes entre elles ».
Autrement dit, il s'agit bien de créer des jeux « en trois dimensions » : le ludique, le social et le cognitif !
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