Dans le cadre du colloque « territoires, développement et formation» organisé les 6 et 7 décembre 2010 à Dijon, l’Institut Joseph Jacotot avait confié hier soir à Philippe Meirieu, Professeur et Vice-président du Conseil régional Rhônes Alpes, le soin de présenter l’œuvre de ce pédagogue éponyme.
Né à Dijon en 1770, Joseph Jacotot, est professeur à l’école centrale. Pour des raisons politiques, il doit s’exiler à Louvain où il est nommé professeur de littérature française, auprès d’étudiants néerlandophones. Lui qui n’est pas spécialiste de la littérature et qui ne parle pas un mot de néerlandais, il se retrouve dans cette situation paradoxale de devoir enseigner ce qu’il ignore à des élèves qui ne le comprennent pas !
Il fournit alors à ces étudiants une version bilingue du « Télémaque » de Fénelon, leurs impose de venir à ses cours pour y apprendre par cœur la version française de l’ouvrage et s’engage à ne rien y faire lui-même si ce n’est de vérifier leur assiduité. Les résultats en fin d’année sont excellents. Joseph Jacotot vient d’inventer une méthode pédagogique qu’il formalisera ensuite sous le nom de principe d’enseignement universel, et qui porte sur trois lois :
- L’ignorance du maitre émancipatrice : seul le maitre qui ignore peut aider l’autre à apprendre ; on ne peut enseigner que ce que l’on ignore car si on connait, on est tenté de l’expliquer et on empêche l’autre de comprendre par lui-même ;
- Le principe de l’œuvre unique : toute l’intelligence de l’homme est présent dans une seule œuvre, et on accède à cette intelligence en reconstruisant cette œuvre pour soi même ;
- Le principe de l’égalité des intelligences, autrement dit il n’y a pas d’inéducable et il faut faire le pari, au sens pascalien du terme, de l’intelligence.
Pour ce qui me concerne, la découverte de Jacotot il y a quelques années par l’intermédiaire de Jacques Ranciere dans son ouvrage « le maitre ignorant, cinq leçons pour l’émancipation intellectuelle » (Fayard, 1987) » a été le révélateur qui m’a conduit à développer une approche pédagogique basée sur la réciprocité des intelligences et sur la notion de tutorat méthodologique. Dans les centres de ressources par exemple, comme dans les ateliers de pédagogie personnalisée, l’animateur ignore la plupart du temps ce que les étudiants apprennent, ce qui ne l’empêche en rien - au contraire, dirait Jacotot - de leur permettre d’apprendre. Mais il représente et organise la situation, le dispositif qui va donner le cadre structurel à l’apprentissage. Comme le rappelle justement Philippe Meirieu, le pédagogue ne peut agir sur la personne, il ne peut agir que sur la situation, qu’il va organiser pour ouvrir le champ des possibles. S’il est construit dans cette optique, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, un dispositif de formation ouverte et à distance, par exemple, peut être considéré comme une transposition contemporaine du Télémaque et de la situation contrainte de Jacotot.
J’ai donc pris plaisir à entendre cette conférence et me remettre dans les pas de Jacotot en compagnie de Philippe Meirieu. Tous deux, au fond, portent un regard subversif sur l’éducation, même si le second le pare d’une posture de candeur calculée : faire sembler de croire en la cohérence entre les finalités et les actes, ou bien encore tenter de parler réellement de ce dont on parle pour « être présent sans s'en laisser conter ». Posture politiquement plus correcte pour un vice-président de Conseil Régional…