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Jouer, collaborer, créer : trois leviers pour mieux apprendre

En décembre 2021, j’ai eu le plaisir et l’honneur d’être interviewé par Avril Treille, docteure en neurosciences cognitives, sur le sujet de l'intelligence collective, de la facilitation, et plus généralement de tout ce qui permet d’offrir une autre perspective aux apprenants. Avril était arrivée jusqu’à moi par le biais de mon article « de l’influence possible de Maria Montessori sur la formation des adultes ».

En toute modestie, je vous propose ici la restitution de cet interview :

Docteur en sciences de l’éducation, professionnel de la formation des adultes depuis plus de trente ans, je suis aujourd’hui formateur-consultant indépendant et j’interviens particulièrement auprès d’organismes de formation pour accompagner l’intégration du numérique dans les processus de formation.

J’ai commencé à m’intéresser au numérique dans les années 1980 lorsque je cherchais des moyens pour faciliter les apprentissages et le maintien des acquis en lecture/écriture et en calcul chez des personnes porteuses d’un handicap mental. A l’époque nous avons découvert le logiciel Elmo 0, qui nous permettait d’entrer des phrases de la vie quotidienne et d’en tirer toute une série d’exercices ludiques, challengeant autour de ces phrases, dans l’esprit de la méthode globale. Ce n’était évidemment pas aussi ergonomique qu’aujourd’hui, mais cela nous a permis de proposer d’autres manières d’enseigner plus adaptées à notre public. J’ai également été amené à enseigner les mathématiques autrement, en proposant des situations d’apprentissage concrètes, basées sur des situations de la vie courante (les mathématiques du consommateur) où les maths avaient une réelle utilité, le tout dans un cadre collaboratif puisqu’il s’agissait de résoudre des problèmes ensemble. Les mises en situations mettaient les apprenants en curiosité et en réflexion et permettaient de renforcer la motivation, l’intérêt et la persistance dans l’exercice.

Je vois les serious games aujourd’hui comme une actualisation de ce que je faisais il y a 30 ans, lorsque ces méthodes actives étaient encore très à la marge en formation d’adultes.

 

MYTHES et FAUSSES CROYANCES LIÉES AU JEU

Dans le cadre de mes interventions, j’observe souvent plusieurs réticences face au jeu :

  • La première concerne la croyance qu’il faut nécessairement faire un effort pour apprendre, or jouer semble être contradictoire avec cette notion d’effort : « en formation on n’est pas là pour jouer, mais pour apprendre ! »

Cependant, comme on le constate de plus en plus aujourd’hui, jouer peut aussi demander des efforts. Prenons pour exemple les jeux vidéo qui demandent un très gros entraînement pour arriver en compétition (on parle même de e-sport). Par ailleurs, on peut également apprendre sans effort grâce au jeu ! Il n’y a donc pas d’adéquation automatique entre effort, jeu et apprentissage.

  • La seconde est l’affaire d’un quotidien déjà régi par le jeu et les écrans. On entend souvent “les gens jouent déjà assez”, “les jeunes passent déjà trop de temps devant les écrans à jouer”.

Avec un peu d’astuce, ce genre de réticence peut vite s’oublier ! Notamment grâce à l’évolution des technologies qui permet aujourd’hui d’utiliser des petites applications extrêmement simples pour intégrer des moments collaboratifs et ludiques dans une formation grâce au numérique. En formation de formateurs, on oublie les grands discours pour essayer de convaincre, mais on met les participants directement en action avec une activité Kahoot par exemple, et même les plus réfractaires se prêtent au jeu.

 

EXISTE-T-IL DE LA CRÉATIVITÉ EN FORMATION ?

Lors de mes formations de formateurs je classe les outils numériques et les pratiques pédagogiques qui vont de pair en cinq catégories sur lesquelles je m’appuie pour accompagner le changement de pratiques :

  1. Réorganiser les espaces : il faut casser le modèle scolaire pour proposer des espaces plus flexibles, afin de permettre aux élèves de bouger en fonction des activités proposées
  2. Favoriser l’interactivité entre les élèves, ludifier la séance, challenger
  3. Diversifier les supports et les activités pédagogiques
  4. Faire produire les apprenants avec le numérique
  5. Repenser et diversifier les temps et les lieux de formation grâce au numérique et à la formation multimodale

Je vois au moins deux niveaux de créativité qui sont particulièrement développés grâce au numérique :

  • Le point 4) va permettre de donner aux élèves l’opportunité de faire appel à leur créativité en les invitant à utiliser le numérique pour créer toutes sortes de supports, de formalisation, de mémorisation, tout en développant dans le même temps le travail collaboratif autour de l’utilisation de ces outils numériques : on va pouvoir par exemple mettre en place des réseaux d’apprenance, utiliser les réseaux sociaux, les espaces de partage, la gestion de projets, voire faire produire des supports didactiques par et pour les apprenants

Le numérique n’est pas ici un outil utilisé par l’enseignant pour faire passer du contenu, mais un support de créativité numérique pour les élèves en train de se former. C’est un vrai basculement épistémologique, on change la posture du formateur : il devient un facilitateur qui va mettre en place des environnements, des situations dans lesquels il peut se passer des choses…

  • La créativité est également démultipliée du côté du formateur, grâce à des outils de type Genial.ly ou Powtoon (pour n’en citer que deux) et grâce à la formation multimodale (alternance entre présentiel et distanciel, entre synchrone et asynchrone et entre individuel et collectif, voir la catégorie 5), le formateur devient également un véritable créateur de contenus didactiques et pédagogiques et s’offre la possibilité de jongler entre ces différentes modalités pour démultiplier les possibles.

 

QUELS LIENS FAITES-VOUS AVEC LES MÉTHODES MONTESSORI ?

Je retiendrais cinq aspects de la méthode Montessori qui peuvent tout à fait s’appliquer aux adultes et qui reprennent en grande partie la théorie des sept piliers de l'autoformation de Philippe Carré (1992) :

  1. Un cadre sécurisant et ouvert : Il ne faut pas minimiser le côté ergonomique de l’environnement pour faciliter le mouvement (on apprend mieux debout qu’assis, voir également la méthode Decroly).
  2. Du matériel éducatif de qualité dans le but de manipuler pour apprendre (possibilité en virtuel maintenant).
  3. Le contrat : formalisation de l’objectif (et pas forcément de la manière d’y arriver) ; on sait où on va, mais la manière d’y arriver est imprédictible. Nous allons mettre en place un environnement suffisamment riche et attractif avec des mises en situation individuelles et collectives afin d’augmenter le potentiel de la situation d’apprentissage, tout en fixant avec chaque apprenant le contrat didactique personnalisé.
  4. Le rôle des autres : Il faut donner l’opportunité de pouvoir travailler avec les autres, de pouvoir les voir travailler. C’est ce que Albert Bandura (1986) appelle l’effet vicariant : lorsque je vois quelqu’un réussir alors je me dis que je peux y arriver aussi.
  5. Le rôle de l’enseignant : on va chercher à être plutôt un facilitateur, un accompagnateur, un peu en retrait, plutôt derrière ou à côté (le côte à côte pédagogique plutôt que le face-à-face) pour se mettre au niveau de l’élève.

Je remarque que ceux qui parviennent à faire la bascule entre la posture de formateur et celle de facilitateur sont beaucoup plus heureux et épanouis. Cette manière d’enseigner devient beaucoup plus enrichissante lorsqu’on lâche prise sur la transmission du savoir.

 

POURQUOI IL EST IMPORTANT D’ALTERNER ENTRE DES TEMPS INDIVIDUELS ET DES TEMPS COLLECTIFS ?

Tout d’abord il faut préciser ce qu’on entend par “temps collectif” : il s’agit de véritables moments de travail collectif et pas seulement des temps où l’enseignant/le formateur s’adresse à l’ensemble du groupe de manière descendante.

Philippe Carré a écrit une phrase très célèbre aujourd’hui dans le monde de l’éducation : “on apprend toujours seul mais jamais sans les autres.” Ce qu’il faut entendre ici c’est qu’apprendre est toujours un travail de « construction » individuelle, mais que pour apprendre nous avons aussi besoin de confronter notre représentation de l’objet d’apprentissage à d’autres perceptions. Il faut tester ce qu’on a compris en confrontant cette représentation à celle des autres. C’est ce que l’on nomme le conflit socio-cognitif.

C’est pourquoi dans les temps collectifs synchrones à distance, je prévois très souvent un travail à réaliser en sous-groupes (via les breakout rooms de Teams ou les salles de Zoom). Mais pour que ça fonctionne, je m’assure de toujours donner aux apprenants une production à faire dans un temps imparti. Ces temps en sous-groupes sont aussi une manière pour le formateur de ne pas être présent en permanence. En général lorsque le formateur est présent, il a tendance (consciemment ou non), à prendre le leadership ; les sous-groupes sont donc une manière de s’éclipser momentanément. Les apprenants apprécient de pouvoir échanger et produire ensemble et mieux faire connaissance et d’échanger sur leurs pratiques.

Toutefois, il faut ensuite conscientiser ce que l’on a appris. Dans les serious game et autres escape game, connus pour jouer sur le collectif, j’ai l’impression qu’il manque souvent un dernier temps de conscientisation de ce qu’on vient de vivre, d’apprendre. Il me semble important de se poser (une minute, on réfléchit !), pour garder une trace de ce qu’on a fait, de ce qu’on a appris. C’est notamment à ce moment-là qu'un temps individuel peut être intéressant pour prendre du recul sur l’expérience qui vient d’être vécue. Les apprenants ont parfois des représentations très traditionnelles de la formation et ils peuvent avoir des réactions très vives de blocage lorsqu’on leur propose autre chose. On peut entendre parfois “on n’a rien appris, on a travaillé tout seul !”. Ce temps d’atterrissage peut permettre de vraiment conscientiser ce qui a été appris et comment. D’une manière générale, il faut trouver le juste milieu entre la dose de changement et d’innovation qu’on veut apporter et l’acceptabilité pour l’apprenant.

 

FINALEMENT, QUELS SONT POUR VOUS LES AVANTAGES DU DIGITAL EN FORMATION ?

Les outils digitaux permettent de ludifier nos contenus, nos activités, ils permettent de proposer des challenges et d’offrir des modalités et des moments différents dans une formation. Mais pour moi, le premier avantage est la possibilité de proposer un apprentissage collaboratif. Il existe une multitude de petits outils qui permettent de collaborer à distance, simplement par exemple en prenant des notes de réunion sur un document partagé (type Framapad), ou bien en créant ensemble une carte mentale.

La difficulté va être de s’y tenir dans le temps. Les habitudes reprennent vite le pas.

Il faut que de notre côté, en tant que formateur ou manager, nous soyons très modélisant, il faut être très congruent entre la forme et le fond et éviter le “faites ce que je dis mais pas ce que je fais”. Il faut essayer de donner le bon exemple !

 

Tag(s) : #Education nouvelle, #Innovation, #numérique
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