Depuis mars, la crise sanitaire a mis sur le devant de la scène l’usage des outils de visioconférence, tant dans le monde professionnel (pour faciliter le télétravail et organiser des réunions en ligne), qu’en formation initiale (pour assurer la continuité pédagogique) ou en formation continue (pour poursuivre les activités de formation des salariés et des demandeurs d’emploi). Les professionnels de l’accompagnement, enseignants, formateurs, conseillers d’orientation, conseillers pôle emploi ou mission locale, éducateurs... ont dû s’adapter et renoncer, parfois à leur corps défendant, au face à face présentiel pour le face à face à distance, que ce soit en individuel ou en collectif. Face à l’urgence, ces acteurs ont plébiscité l’usage des « classes virtuelles », c’est-à-dire une modalité d’e-learning synchrone durant laquelle les bénéficiaires et l’intervenant sont connectés pendant un temps donné par l’intermédiaire d’un outil numérique de type visioconférence. Selon une récente étude du FFFOD les classes virtuelles supplantent désormais et de très loin (78 %) les autres outils d’accompagnement, devant les mails (68 %) et le téléphone (50%). Au-delà de ses aspects éminemment dramatiques la crise sanitaire a donc été un « accélérateur du digital learning ».
Les offreurs de solutions technologiques tel que Zoom, Teams, GoToMeeting, Google Meet ou encore Jitsi Meet, pour ne citer que les plus utilisés, ont connu un boom sans précédent et ont dû, eux aussi, s’adapter à la demande. Aujourd’hui ils proposent tous peu ou prou les mêmes fonctionnalités : se voir et s’entendre, projeter et commenter un document, lever la main pour prendre la parole, échanger avec le groupe via le chat, mais aussi des fonctionnalités favorisant le travail collaboratif : partage de son écran (pour l’animateur comme pour les participants), écrire sur un tableau blanc ou sur un document partagé, prise de note à la volée, prise en main à distance de l’écran des participants, scinder la salle principale en sous-groupes de travail, enregistrement de la réunion en ligne pour garder la trace des échanges, etc.
D’autres solutions sont également mobilisées, en particulier celles qui permettent d’ajouter aux fonctionnalités « natives » des outils de visioconférence des applications complémentaires propres à augmenter la dimension collaborative du meeting en ligne : Mentimeter ou Wooclap par exemple pour recueillir l’avis des participants, créer des nuages de mots, voter pour différentes alternatives, prioriser des actions ou des axes stratégiques, vérifier la compréhension d’une donnée. D’autres outils collaboratifs tels que Google docs, Microsoft Online, Framindmap, peuvent également être couplés à une visioconférence.
Pour autant, l'utilisation de ces technologies peut conduire à des pratiques très différentes que nous allons évoquer maintenant :
- La conférence en ligne : une ou plusieurs personnes face à plusieurs dizaines (voire centaines) de participants qui n’interviennent pas. On est dans le degré zéro de la « participation », on privilégie ici la parole de l’expert qui délivre son savoir face à un auditoire passif, à l’instar des cours magistraux en amphi.
- Le webinaire : une ou plusieurs personnes face à plusieurs dizaines de participants, mais ceux-ci qui peuvent intervenir via le chat pour poser des questions et interagir entre eux. Très souvent les webinaires sont organisés avec un « animateur » et des « experts » ; le premier étant en quelque sorte le maitre de cérémonie, qui introduit les experts, anime les débats entre eux, garde un œil sur la montre et un autre sur le chat pour synthétiser les questions au cours de la réunion ou en fin de réunion. L’usage du chat est assez symptomatique de l’intention plus ou moins contributive que l’on veut donner au meeting : dans certains webinaires, l’expression est libre, et on apprend autant des autres que de l’expert alors que dans d’autres cas les auditeurs (fort bien nommés) n’ont d’autre choix que de poser leurs questions aux experts. On reproduit ici le modèle des symposiums, avec un temps classique de « parole à la salle pour quelques questions » après les interventions des conférenciers.
- Les réunions en ligne : plusieurs participants qui échangent entre eux et qui contribuent à une tache commune. Ces participants se connaissent la plupart du temps, et ont en tous cas une bonne raison de se retrouver : il peut s’agir de réunions de services ou d’équipes de travail, dans le monde professionnel, mais aussi des groupes d’élèves, d’étudiants ou de stagiaires de la formation qui se retrouvent avec leur enseignant. Ici, la parole est davantage partagée, et seront mobilisés les outils collaboratifs pour faire avancer un projet, organiser le travail des collaborateurs ou des apprenants, faciliter et acter les prises de décisions, rappeler les consignes de travail, faire acquérir une notion, etc.
- Les ateliers de production à distance : chaque participant produit chez soi sur la même plage horaire avec en classe virtuelle l’appui du formateur et l’appui du groupe.
J’ai, pour ce qui me concerne, mis au point et expérimenté à de nombreuses reprises depuis mars, cette forme de visioconférence, dans le cadre de formations de formateurs à la prise en main d’outils numériques, plateforme de formation (Learning Management System) et d’outils de productions de ressources. Dans ces ateliers de production à distance, on alterne entre une modalité collective, en début et en fin d’atelier, et une modalité semi-collective. Même si chaque participant produit pour soi, chez soi, et à son rythme, le fait que la visioconférence reste ouverte tout au long de l’atelier permet de poser à tout moment une question ou de formuler une demande d’aide, auxquelles peut répondre l’animateur (moi en l’occurrence) mais aussi les autres membres du groupe. L’émetteur de la question partage alors son écran et on cherche ensemble à résoudre le problème rencontré. A l’instar d’un atelier en présentiel où la question formulée par l’un fait écho aux questions que se posent les autres, il se crée dans ces moments semi-collectifs une émulation entre apprenants qui favorise l’émergence d’une véritable « communauté d’apprenance » qui perdure au-delà des temps d’atelier à proprement parlé. Bien évidemment, ces ateliers à distance ne sont qu’un des ingrédients des parcours de formation qui comportent également des moments d’apprentissages autonomes et tutorés en asynchrone sur des ressources autoformatives déposées sur la plateforme.
Adaptation ou transformation des pratiques ?
Force est de constater que tout le monde n’a pas la même aisance avec le numérique, et que, une fois accepté et franchi l’obstacle de la distance et l’appréhension de la technologie, le risque est grand de calquer l’usage de la distance sur les usages habituels du présentiel. La dimension plus ou moins collaborative d’une réunion en ligne, par exemple, ne dépend pas de la technologie mais de « l’animateur » de cette réunion ; un chef directif va très probablement avoir tendance à monopoliser la parole et à très peu la distribuer à ses collaborateurs, hormis pour des interventions ciblées, alors qu’un manager plus participatif va organiser les débats et favoriser les prises de paroles plus spontanées et plus libres. De même, un enseignant ou un formateur avec des pratiques transmissives va davantage « apporter son savoir » au cours des séances de classes virtuelles, alors qu’un enseignant plus constructiviste va privilégier les expérimentations et les échanges entre apprenants. Plus préoccupant, le recours aux réunions collectives synchrones à distance peut même conduire à une forme de régression pédagogique. L’usage du vocable de « classe », avec les représentations sociales qu’il draine (un enseignant qui parle à des élèves qui écoutent), couplé à la moindre maitrise des outils collaboratifs par les enseignants ont conduit beaucoup d’entre eux à privilégier des séances d’apports de contenus plutôt que des séances d’échange dont auraient pourtant eu besoin les apprenants confinés.
Autrement dit, il y a autant de « classes virtuelles » que de modèles pédagogiques. Bien que porteur d’un véritable potentiel d’ouverture et de flexibilité, cette modalité, dès lors qu’elle est contrainte par la situation sanitaire, qu’elle est suspectée d’enseignement au rabais ou de moindre valeur, si on en croit les avis plutôt négatifs sur la gestion de la continuité pédagogique lors du premier confinement, et qu’elle a pu conduire à un retour aux cours magistraux, ne peut être inconditionnellement considérée comme synonyme d’évolution pédagogique. Un accompagnement des acteurs, tant sur la maitrise technologique que sur la question du sens et de l’ingénierie pédagogique est plus que jamais nécessaire pour faire évoluer les systèmes éducatifs et faire de cette crise sanitaire une opportunité.
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