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L’architecte pédagogique : une nouvelle figure du formateur

Cela étonne toujours beaucoup les formateurs lorsque je leur dis que demain, ils seront tous des « architectes pédagogiques ». Pourtant cette idée n’est pas nouvelle : de Montessori à Freinet, en passant par Decroly, les pédagogues modernes du début du XXème siècle nous ont prouvé l’importance du cadre sur la motivation des élèves et l’efficacité des apprentissages. Ecoutons par exemple la manière dont Maria Montessori décrivait les maisons des enfants «les maisons des enfants étaient des cadres de vie spécialement aménagés pour répondre aux besoins des enfants et qu’ils pouvaient transformer et améliorer en exerçant leur sens des responsabilités. Dans ces maisons, tout était adapté aux enfants, à leurs attitudes et perspectives propres : non seulement les placards, les tables et les chaises, mais aussi les couleurs, les sons et l’architecture. On attendait d’eux qu’ils vivent et se meuvent dans cet environnement en êtres responsables et qu’ils participent au travail créateur comme aux tâches de fonctionnement, de façon à gravir une « échelle » symbolique conduisant à l’accomplissement ».

Disposer d’un espace clair, aéré, rangé, meublé avec du mobilier adapté, est un signe de l’importance que l’on accorde à la personne en formation. Nous ne pouvons qu’être frappés de l’indigence de certains locaux proposés aux adultes en formation, notamment aux demandeurs d’emplois en réinsertion professionnelle, meublés avec peu de soin, sans un minimum de réflexion en terme d’ergonomie, sans souci de réapprovisionnement et de mises à jour des ressources disponibles. Rien de plus désespérant que de vieilles affiches obsolètes sur  un tableau d’affichage branlant qui vous renvoie à votre situation d’exclus !

Proposer des lieux d’apprentissage proches des organisations scolaires traditionnelles conduit en outre les apprenants (jeunes ou adultes) à reproduire inconsciemment les habitudes contractées lorsqu’ils étaient scolarisés. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ils se comporteront de manière passive, attentiste et le formateur, même armé des meilleures intentions, s’étonnera du faible intérêt de ses apprenants, quand bien même il mettrait en œuvre des méthodes modernes les plus innovantes. Notons d’ailleurs que le formateur peut lui-même être influencé par le cadre dans lequel il intervient. L’exemple le plus frappant en la matière est celui de l’usage des tableaux blancs interactifs lorsque ceux-ci sont accrochés en lieu et place du tableau habituel : juste après les époustouflantes démonstrations  des vendeurs de matériels et après quelques timides essais souvent maladroits des formateurs livrés à eux même, le tableau reprend peu à peu sa fonction ancestrale, celui d’être le support à la démonstration d’un formateur qui réintègre quant à lui sa posture magistrale de dispensateur d’un savoir formaté à des apprenants passifs.

Bien qu’un TBI ait été installé, cet outil se contente de remplacer le tableau traditionnel vers lequel a toujours convergé l’attention. De plus, cette technologie – tout comme le tableau – ne suscite qu’une participation périphérique et perpétue le modèle classique de l’environnement pédagogique centré sur le professeur

Bien qu’un TBI ait été installé, cet outil se contente de remplacer le tableau traditionnel vers lequel a toujours convergé l’attention. De plus, cette technologie – tout comme le tableau – ne suscite qu’une participation périphérique et perpétue le modèle classique de l’environnement pédagogique centré sur le professeur

Dans la plupart des expériences en pédagogie nouvelle, les locaux étaient gérés par les élèves eux-mêmes, et cette autogestion était prétexte à un apprentissage de la vie en société et du sens des responsabilités ; rien n’empêcherait de faire de même en CFA ou en formation d’adultes, y compris en incluant par exemple la gestion du centre de ressources ou du café, quand ce n’est pas l’animation d’ateliers thématiques, culturels par exemple, et du matériel afférent.

Pour concevoir des espaces de formation adaptés à l’apprentissage, il n’est qu’à voir la manière dont nous même apprenons ou travaillons en dehors des cadres formels : qui d’entre nous apprend de manière statique, assis de longues heures sur sa chaise, devant un livre ou un ordinateur ? On se lève, on marche, on prend un café, on sort le chien, on revient à sa tâche, on téléphone à un ami, on butine sur internet, on procrastine (souvent), on expérimente,  on croque dans une pomme, on s’étire, on fait un peu de gymnastique, on a des éclairs de génie (parfois), on dort et on continue d’apprendre en dormant. Tout le contraire de ce qu’on nous propose dans un cadre formel ou tout cela est proscrit : se lever, manger, discuter avec son voisin, téléphoner, aller sur internet (un comble !). Où sont donc les nécessaires et fructueuses déambulations d’un Rousseau, d’un Socrate, d’un Platon ?

Il faut donc réinventer des espaces ouverts, multiformes et multifonctions : spacieux, réagencables autant que de besoin, avec des mobiliers  qui redeviennent mobiles (comme les tables individuelles à roulettes par exemple),  avec des tablettes amovibles pour alterner papier et informatique en fonction des besoins, avec des chauffeuses pour se reposer et réinventer l’art de la conversation.

Exemple de mobiliers avec tablette amovible (CFA BTP de Blois)

Exemple de mobiliers avec tablette amovible (CFA BTP de Blois)

Nous entrons dans l’ère des Learning labs. Dans de tels  espaces, les apprenants bougent, s’approprient les lieux, et changent d’activités en fonction de leurs besoins et de leurs rythmes d’apprentissage. Les activités y sont multiples : ici plusieurs apprenants travaillent une étude de cas sur une table ronde; là, d’autres se concentrent sur un exercice individuel ; dans un coin de la pièce, plusieurs apprenants sont debout autour du tableau blanc interactif avec leur formateur pour produire une carte mentale. La station debout est d’ailleurs préférée à la station assise car il est prouvé que le mouvement facilite le raisonnement et que l’on apprend mieux debout qu’assis, comme le montre une étude très récente

« Nous avons évalué 34 élèves de seconde avant et après l’installation de bureaux debout dans leur classe en cours d’année (…) Les tests ont établi un lien entre l’utilisation continue de bureaux debout et l’amélioration significative des fonctions exécutives et des capacités de la mémoire de travail (…) Cette étude est la première à examiner de façon objective les réponses cognitives des élèves utilisant des bureaux debout, et à fournir une base neuropsychologique aux améliorations observées. Qui plus est, l’évaluation des fonctions cognitives élémentaires a permis de mesurer l’impact de ces bureaux sur les éléments constitutifs du comportement des enfants en classe. Elle a par ailleurs montré que l’utilisation de bureaux debout améliorait les fonctions neurocognitives de 7 à 14 % »

L’architecte pédagogique : une nouvelle figure du formateur

Mais le seul changement d’environnement ne suffit pas à lui seul à ce que les élèves (ou les apprenants) modifient leurs comportements ; encore faut-il que le formateur propose des activités intéressantes, ludiques, avec une part de challenge à relever. Selon les auteurs de l’ouvrage "Neuro Learning, les neurosciences au service de la formation" (cf article en intra)  il existe un lien direct entre le niveau de pression appliqué (le challenge) et la qualité de l’attention. Il s’agit du niveau de stress auquel il faut soumettre le cerveau pour qu’il consacre toute son attention à la tâche en cours. Au-delà d’être organisateur de l’espace, le formateur est aussi celui qui connait assez ses apprenants pour proposer à chacun d'eux, au bon moment, une activité suffisamment motivante pour remobiliser son attention et son énergie, suffisamment déstabilisatrice pour offrir une difficulté surmontable qui le sortira de sa zone de certitude ou de confort et lui permettra d’apprendre quelque chose de nouveau. Pour cela, il aura aussi agencé dans cet espace des technologies et des ressources multiples et variées, numériques ou non, qui apporteront des éléments de réflexion, de l’information, du savoir mobilisable pour résoudre la situation problème proposée.

Enfin, le formateur est aussi le garant de la collectivité, du vivre ensemble, du respect des règles de convivialité qui sont à la fois une condition d’un apprentissage serein et une compétence sociale à développer, notamment pour les plus jeunes. Son propre comportement, le ton de sa voix, le renforcement positif, sa modestie face à l’ampleur des connaissances à acquérir et sur la relativité de son expertise permettront de développer de nouveaux rapports aux savoirs, plus authentiques et, on peut le souhaiter, pérennes.

 

Tag(s) : #Discussion, #pédagogie
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