J’ai assisté ce 30 mars 2011 à un colloque sur la personnalisation de la formation dans l’éducation permanente et populaire, organisé par le CNAM, dans le cadre du projet européen Leadlab. Au-delà du plaisir, très affectif, de retrouver quelques anciens collègues, j’ai été un peu surpris de retrouver dans le même temps, et presque inchangées, des questions dont je pensais naïvement qu’elles avaient trouvé réponse depuis longtemps - et même, soyons clair, avoir contribué à les trouver ! Par exemple, la question du distinguo entre personnalisation et individualisation me semblait derrière nous. Je serais donc presque enclin à souscrire à l’hypothèse de Guy Jobert qui soupçonne ce thème d’être suffisamment flou pour être attractif (et rémunérateur) au niveau européen ! C’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié l’intervention de Philippe Meirieu, qui, après s’être lui-même rassuré sur le fait que le sujet n’était pas l’individualisation, mais bien la personnalisation, nous en a retracé l’histoire et posé clairement les enjeux.
Comme il nous le rappelle, la personnalisation a longtemps été la seule modalité de formation, hormis la formation religieuse et c’est la formation scolaire qui a apporté la formation collective, pour des raisons de rationalisation et de coût, mais également pédagogique et politique. D’un point de vue pédagogique, l’apprentissage visant la recherche de l’abstraction, le passage du singulier à l’universel exige un renoncement au pathos et de l’affectif. D’un point de vue politique, l’éducation visant l’universalité de la culture, l’attention à la personne relèverait d’un « dévoiement », voire d’une « atteinte à l’autorité de l’Etat ». La personnalisation dans l’éducation scolaire n’est toutefois pas récente ; Miss Parkust et le plan Dalton (en 1905), montrent par exemple que chacun apprend à son rythme. Deux autres courants l’ont également inspiré : la pédagogie différenciée (Louis Legrand) et la pédagogie centrée sur la personne (Carl Rogers). Assez curieusement, dans le champ de la formation des adultes, notamment les courants de l’éducation permanente des années 50, c’est le collectif qui prédomine, puisqu’il permet l’expression de la solidarité et la création d’un « esprit de classe ».
Mais l’enjeu essentiel que pose (ou réactive) la personnalisation dans la formation, est finalement de savoir comment faire pour que la personne investisse sa formation, alors que celle-ci est pensée et gérée par une institution ? Comment peut-elle se vivre en sujet et non en objet ? Deux approches de la personnalisation peuvent alors s’opposer :
- Celle qu’illustre Claparède, fondateur en 1912 à Genève de l’institut Jean Jacques Rousseau, et qui développe dans « L’école sur mesure », l’idée que l’éducation doit être construite à partir d’un diagnostic des besoins des personnes. C’est le paradigme de la psychopédagogie qui adapte l’accompagnement en fonction de ce que l’on sait de la personne
- L’autre qu’illustre Henri Bouchet, qui explique dans « l’individualisation de l’enseignement et de la formation », que l’important n’est pas tant l’approche psychologique, mais d’ouvrir des perspectives et proposer des outils et des situations aux apprenants, autrement dit leur « ouvrir le champ des possibles », par des ressources diverses et variées et une personnalisation de l’accompagnement.
La question de la place de « l’analyse du besoin » est alors centrale dans la construction du dispositif. L’approche psychopédagogique peut conduire à des dérives, notamment celle de la mécanisation du couple besoins/réponse et donc l’autodétermination du parcours par le passé de la personne et non par son projet et son intentionnalité. Une autre dérive serait de privilégier la méthode sur les fins ou bien encore, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, de préférer une approche finalisée sur l’employabilité à une approche centrée sur l’humain, le citoyen, la culture, le développement de soi dans une dynamique autodirigée.
Cette dérive s’inscrit dans un mal contemporain dominant, selon Meirieu, à savoir celui de la prescription, de la biologisation des symptômes, de la psychologisation, de la remédiation, de la gestion technocratique des différences … autrement dit une vision « médicale » de la formation dans une société malade de la prescription !