Dans ma déjà longue carrière, j’ai œuvré à de nombreuses reprises dans le domaine de la qualité en formation ; co-auteur du Référentiel de Bonnes Pratiques de la FOAD (paru en 2004), j’ai présenté en 2002 à Barcelone, dans le cadre du CEDEFOP, le panorama des démarches qualité en e-learning, présentation au cours de laquelle je regrettais que « la culture qualité soit loin d’être une réalité dans la formation, puisque sur les 40 000 organismes de formation, seuls 1000 environ avaient [à cette époque] opté pour une démarche qualité ». J’ai ensuite contribué largement à l’écriture de la première démarche qualité des Ateliers de Pédagogie Personnalisée (A.P.P.), puis, en 2010, j’ai conçu la procédure de labellisation des organismes de formation des branches professionnelles des salariés du particulier employeur et des assistants maternels. Enfin, je suis, depuis 2014, auditeur qualité dans le cadre du label Français Langue Étrangère (FLE).
Ceci pour dire que je suis loin d’être hostile à l’instauration de la qualité dans le domaine de la formation, pensant, bien au contraire, que la production de normes peut donner des repères et des aides aux choix, qui plus est dans un marché où les apprenants peuvent désormais, depuis la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel faire eux-mêmes leurs démarches d’inscription pour utiliser leur compte personnel de formation. Du point de vue des acteurs, les démarches qualité ont permis une professionnalisation accrue, en s’inspirant des modèles industriels et de l’ingénierie. Les concepts d’études de besoins, de cahiers des charges, de dispositif, de ressources pédagogiques, d’évaluation de la satisfaction ont joué un rôle majeur dans la structuration des activités de formation et ont permis de passer progressivement d’une pratique informelle et artisanale, notamment héritée des pratiques sociales de l’éducation permanente, à une activité plus professionnelle.
Toutefois, la formation est avant tout « une affaire de vie » comme le dit joliment Denis Cristol dans son article "ni Dieu, ni maitre, ni certification !" qui prétend que « les métiers de formation sont des métiers de vitalisation et ne sauraient être si fortement référencés que la tendance actuelle le souhaite ». Les études sur les processus d’apprentissage des adultes, notamment les courants traitant de l’autoformation ou de la formation expérientielle, montrent clairement la place prépondérante de l’apprenant dans la réussite et l’efficacité de ses apprentissages. Comme le dit encore Denis Cristol « apprendre est une coproduction entre un esprit et un environnement. Va-t-on certifier les apprenants et leur cerveau ? […] J'aime coconstruire avec les apprenants et partir d'une page blanche, je nomme cela « pédagogie du cadre-flou » cela devient inadmissible, pourtant je me sens héritier de Rogers et d’une pédagogie non-directive ». Au-delà d’un simple phénomène de servuction de nature économique, on sait depuis toujours que l’acteur central d’une action de formation est l’apprenant lui-même et non le formateur, et que des cadres trop stricts bloqueront l’apprentissage plutôt qu’ils ne le faciliteront. Je suis fermement convaincu que se former est avant tout un acte dont le résultat dépend de la personne elle-même, de l’énergie qu’elle déploie, de sa manière de réagir face à la difficulté, mais aussi de la dynamique de groupe qui se met en place en formation, autant en présentiel qu’en distanciel.
Or, dans les démarches qualités actuelles, la pression est forte pour produire des déroulés pédagogiques de plus en plus précis qui conduisent à des actions de formation ultra normatives conçues pour des apprenants types et qui ne laissent plus de place à l’improvisation, à la sérendipité pédagogique, à la personnalisation. C’est une véritable injonction paradoxale qui se pose à l’ingénieur de formation : d’un côté une incitation forte (et légitime) à la personnalisation de la formation et à la prise en compte de chaque participant dans sa singularité, de l’autre une planification dans les moindres détails de ce qui sera dit, de ce qui sera fait, parfois à la minute près. Pour ma part, je ne sais jamais comment va se dérouler une action de formation et c’est tant mieux. Bien sûr, j’ai prévu et formalisé les objectifs de formation, que je partage avec les apprenants au démarrage ; bien sûr j’ai pris la mesure de leur niveau de maitrise du sujet abordé ; bien sûr j’ai prévu ma progression et mes activités, mais ensuite c’est avec le groupe lui-même que se vivra l’aventure !
J’ai souvent fait l’analogie entre la formation et la randonnée, notamment dans un article intitulé «partir en formation comme on part en randonnée » dans lequel je disais qu’en définitive, le chemin parcouru (en randonnée comme en formation) sera celui de la personne elle-même : imprévisible, unique, inédit, non reproductible. En tant que formateur, mon travail est d’accompagner, en proposant un cadre d’apprentissage, un environnement facilitant, des ressources, une expertise, une expérience du terrain, en suggérant sans imposer des itinéraires, des progressions, des techniques, en évitant si possible quelques chausse-trapes, sans pour autant sécuriser à l’excès car sinon où serait l’aventure ? où serait l’expérimentation ? où serait l’apprentissage ?
J’ai retrouvé la même analogie dans le livre Chemins d’Axel Kahn qui compare la démarche du chercheur à celui du chemineau : « dans les deux cas, dit-il, les itinéraires sont au départ conçus pour mener quelque part. Cependant, si en cours de route un embranchement semble conduire à un paysage plus séduisant, permettre de répondre à une question plus excitante, alors il faut savoir dévier du trajet initialement prévu. Là sont à faire des plus belles découvertes. Oser s’aventurer hors des sentiers battus, ne pas craindre l’aridité du terrain, le relief escarpé, être audacieux, résistant et tenace, éviter néanmoins l’entêtement sont des conseils qui valent presque en les mêmes termes que l’on s’engage sur les chemins de terre ou sur ceux des sciences ». Et bien c’est la même chose en formation. Une question posée par un participant permet de bifurquer, de prendre une autre voie pour arriver à ses fins ; toute proposition, toute suggestion en cours de formation doit être entendue et prise en compte pour adapter le programme pédagogique à votre groupe. Toute modalité personnelle d’apprentissage doit être respectée et soutenue. Toute erreur doit être prise comme une occasion de cheminer vers la connaissance. Chaque apprenant doit pouvoir apprendre à son rythme, sans crainte de ralentir les autres et je ne passerais pas le même temps avec l’un qu’avec l’autre, en fonction de ses besoins, de ses attentes, de son autonomie.
En résumé, si je peux aisément concevoir la mise en œuvre de dispositifs de formation articulant avec rigueur ressources pédagogiques, technologies et encadrement formatif, je ne pourrais jamais mettre en cases la totalité de mon activité de formateur sans considérer dans le même temps que ce cadre ne peut être ni totalement prescriptif, ni vérifiable à postériori.