Selon la dernière étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), neuf millions de Français seraient victimes de nuisances sonores qui, au fur et à mesure, entraineraient pertes d’audition, stress, dépressions, maladies et des dépenses de soin allant jusqu'à 156 milliards d'euros chaque année.
Très sensible à l’environnement sonore, je cherche pour ma part à m’épargner autant qu’il est possible les nuisances de ce type, que j’ai tendance, lorsqu’elles se produisent, à considérer chaque fois comme une agression personnelle, une intrusion dans ma « bulle », une violence symbolique inacceptable ; je parle ici des bruits de route, des musiques festives (autant diurnes que nocturnes), des bavardages à voix haute montrant que leurs auteurs considèrent le voisinage comme quantité négligeable.
Il est pourtant des occasions où la petite musique des sons vous raconte une histoire, des histoires. Avez-vous déjà vécu par exemple une journée au rythme d’un camping ? Je ne parle pas de ces campings sur-bondés des bords de plage où vous mangez dans l’assiette de votre voisin et où les hauts parleurs crachent à tout-va une musique de supermarché, mais d’un camping plus traditionnel, disons de moyenne montagne ou de plaine, qui accueille de « vrais campeurs » en toile de tente.
C’est avec les oiseaux, que, très tôt, la journée commence. Dès l’aube, ils peuplent votre univers sonore de chants propres à chaque espèce, destinés, non pas à exprimer leur joie et leur reconnaissance d’être encore en vie, mais plus prosaïquement à marquer et défendre leurs territoires ou à séduire une femelle. Maintenant, si vous souhaitez rester dans l’idée que ces chants sont une ode à Mère nature, je ne vous en tiendrais pas rigueur.
Peu de temps après viennent les premiers crissements caractéristiques des fermetures éclairs des tentes que l’on ouvre, en essayant vainement d’être discret. Ils précèdent les premiers bruits de vaisselle que l’on dépose sur la table, de réchaud que l’on allume, mais je ne parlerais pas ici, pour ne pas risquer le hors-sujet, de l’odeur du café qui vient chatouiller vos narines. A cette étape de la journée, dans mon expérience vécue dernièrement, s’ajoutait aussi le bruit, là aussi caractéristique, des montgolfières qui prenaient matinalement le départ vers les cieux.
Viendra alors le temps des allers-retours aux sanitaires, à pas mesurés pour certains, plus énergiques pour d’autres, voire carrément massifs pour certaines urgences. Les conversations chuchotées prendront de l’ampleur au fur et mesure que le soleil se lèvera, mais n’étant pas polyglotte, ces conversations, souvent en anglais, en flamand, en allemand ou en danois se mélangeront dans ma tête pour produire une petite musique somme toute agréable et parfois soporifique d’où émergeront quelques phrases dans ma langue natale qui, mises bout à bout, produiront un curieux cadavre exquis : es-tu allé faire pipi avant d’aller à la piscine ? Nous sommes arrivés hier soir, il fait déjà très chaud. Les enfants nous rejoignent demain. Tu crois que l’on pourra visiter le château sans pass sanitaire ? Quel est l’équivalent de "voyeur" pour celui qui "écoute" ? En captant ces petits bouts de phrase, je m’amuse à créer des histoires, à déceler des personnalités, des relations humaines tumultueuses ou apaisées, des intentions ou des projets.
La piscine est, dans un camping, une autre source sonore intéressante et très caractéristique. Le piaillement des enfants, les recommandations parfois lasses des parents se mêlent au bruit des plongeons, des éclaboussements, des poursuites nautiques. Surviennent parfois des cris plus pointus où l’on décèle une frayeur enfantine, une bravoure, un défi relevé, la joie inestimable d’être dans l’eau.
La journée se passe au rythme de ces allées et venues, des entrechoquements de vaisselle, de la musique en sourdine, du bruit des tentes que l’on plante parfois tard le soir après une journée de randonnée ou une longue route en voiture dont les enfants sortent excités et les parents exténués. Le niveau sonore va progressivement baisser au fur et à mesure que le soleil se couche, et les rares éclats de voix prendront alors une signification plus singulière : celle d’un conflit mal réglé, d’une rancœur qui ne peut être tue plus longtemps, ou, au contraire d’un rire qui ne peut être réprimé, d’une émotion à partager…
La tombée de la nuit s’accompagnera du même crissement des fermetures éclairs des tentes, que cette fois-ci l’on baisse ; parfois tard le soir d’autres chuchotements que l‘on devine confidences sous la couette à la lueur de la lampe torche. Des bruits plus intimes, ceux qui font pouffer les enfants, ceux aussi qui font les enfants, parfois des ronflements qui révèlent des natures généreuses et qui font plaindre les conjoints.