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Les neurosciences au service de la formation

Disons-le d’emblée, hormis son titre trop marketing à mon gout, ce qu’ils reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes, j’ai bien aimé le livre de Nadia Medjad, Philippe Gil et Philippe Lacroix intitulé « Neurolearning, les neurosciences au service de la formation ». Je me le suis procuré avec curiosité car il ne se passe de semaine sans qu’un article, une publication, voire une émission grand public ne viennent s’appuyer sur « les dernières avancées scientifiques sur l’étude du cerveau » pour légitimer telle ou telle innovation pédagogique. Il est vrai que, comme le montre les auteurs, l’argument neuroscientifique est très persuasif et que « la présence d’une image de cerveau sans lien avec l’explication qui l’accompagne va jusqu’à abuser les scientifiques eux-mêmes ». Pour autant, il me semblait que des progrès considérables étaient faits sur le sujet, notamment grâce au développement de l’imagerie cérébrale, et que mieux connaitre le fonctionnement de notre cerveau devait naturellement se traduire dans le montage d’actions de formation. Enfin, je recherchais dans ce livre la confirmation des évolutions biologiques qui, nous dit-on, permettent de comprendre les nouvelles manières d’apprendre des générations y et z.

Sur ce dernier point, j’ai été un peu déçu : il est peu fait référence aux natifs du numérique, hormis pour alerter sur les risques d’une surabondance informative et la dispersion liée au zapping et rappeler le constat maintes fois évoqué par ailleurs d’un gain du cerveau de ces générations  « en vitesse et en automatisme, au détriment du raisonnement et du contrôle des pulsions » Mais de scoops sur les mutations cognitives des digitals natives, point !

Cet ouvrage est cependant particulièrement intéressant :

  • D’une part parce que les auteurs font preuve de rigueur et d’honnêteté : Quand ils nous expliquent par exemple que, lorsque nos croyances sont remises en question et que nous vivons une dissonance cognitive, nous mettons en œuvre un biais de confirmation, c’est-à-dire une tendance à rechercher les arguments qui vont dans le sens de notre opinion, et qu’ils avouent ne pas en avoir été exempts eux-mêmes.
  • D’autre part parce que l’ouvrage est très pédagogique : aisé à comprendre, avec une mise en page qui aide à la structuration des idées, pratiquant abondamment la redondance pédagogique (la répétition fixant la notion), il fourmille de conseils pratiques pour un formateur lambda, que celuici intervienne en présentiel ou en e-learning.

Après une présentation rapide de l’histoire encore récente de la neuroéducation, discipline qui cherche à faire évoluer les bonnes pratiques d’apprentissage et d’enseignement à travers les preuves scientifiques de la façon dont le cerveau apprend, un premier chapitre est consacré aux « neuromythes », c’est-à-dire aux croyances erronées sur le fonctionnement du cerveau. On y apprend qu’il est faux de croire que nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau, de croire que nous sommes plutôt cerveau droit ou cerveau gauche, on encore, de croire que le cerveau est multitâche. Faire plusieurs choses en même temps nuirait à la concentration. Difficile à avaler, ça, pour moi qui utilise cet argument pour plaider en faveur de l’usage du smartphone en salle de classe ! Dont acte, évitons le biais de confirmation ou le biais d’aversion à la perte.

Vient ensuite un chapitre sur les différentes théories qui expliquent la manière dont le cerveau apprend et qui propose de manière très opérationnelle sept grands principes. J’ai été sensible à la vision du cerveau Bayésien (du nom d’une théorie mathématique) qui suggère que nous compilons sans cesse des statistiques à partir des informations qui nous traversent, ce qui nous permet de faire des prédictions : nous prédisons ce qui va se passer à partir de ce qui s’est déjà passé, et si cela ne se passe pas comme prévu, une alarme se déclenche qui nous oblige à réviser nos connaissances. Apprendre serait donc, comme le suggère Stanislas Dehaene, « choisir un modèle qui explique le mieux les données reçues par les organes des sens ». Je fais ici le lien avec ce que postulait Ernst Von Glaserfeld en 1988, à savoir que « la connaissance ne reflète pas une réalité ontologique objective, mais la mise en ordre et l’organisation d’un monde constitué par notre expérience »[1]. En gros, trouver une représentation « qui convient ».

L’importance de l’environnement et du milieu sur les fonctions cognitives est un autre point important de ce chapitre, qui nous invite à créer un « environnement pédagogique optimal » pour renforcer le travail d’apprentissage : on apprend mieux au calme, à la lumière du jour, sans lumière bleue le soir, et en station debout : une  étude vient en effet de démontrer que « la station debout favorise la cognition ». Dire qu'on m’a fait asseoir dans une salle de classe pendant vingt ans !

Le chapitre suivant traite de l’attention, et de la manière de la maintenir. On y apprend que le visuel passe avant les autres sens, que l’écrit stimule peu l’attention, que plus il y a de sens stimulés, plus ceux-ci sont performants, et que le mouvement est encore plus efficace pour attirer l’attention. On y apprend aussi l’importance des toutes premières minutes d’une formation (notre cerveau produisant dès les premières secondes un jugement favorable ou non vis-à-vis de la personne qu’il rencontre pour la première fois) et la redoutable courbe de l’attention qui chute dès la dixième minute, dans le cas d’un cours magistral ou d’un exposé par exemple. Pour lutter contre ce phénomène, que ce soit en présentiel ou en digital Learning, plusieurs solutions : prolonger le propos par un mini film, raconter une anecdote, faire un trait d’esprit, poser une question décalée, projeter une image choc, présenter un mini-quiz … Et surtout faire des pauses, courtes mais nombreuses. On y parle aussi de créativité, de contrôle cognitif, de résistance attentionnelle, de l’impact délétère du zapping. Les auteurs insistent sur « la zone d’ombre de l’ère digitale, si féconde par ailleurs en opportunités, qui sollicite notre attention à un niveau sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Sous l’effet de cette hyper-sollicitation, elle tend à se dégrader, ce qui pénalise notre productivité et notre bien-être ».

Vient ensuite un chapitre sur la mémoire, avec une explication théorique sur le fonctionnement de celle-ci (mais je n’ai pas tout retenu) et un dernier sur "émotions et motivations"  qui relie enfin apprentissage et émotion. Plus dans ceux-ci dans les autres encore, une foultitude de conseils pédagogiques. Promis, je lutterais dorénavant contre le syndrome de l’expert (vouloir tout dire) en réduisant la quantité d’informations fournies, je proposerais des exercices de déstructuration-restructuration, je solliciterais les associations mentales pour relier le nouveau au connu et l’abstrait au concret, je fractionnerais davantage l’apprentissage en sessions de 15 à 30 minutes. Plus étonnamment, je n’abuserais pas des compliments qui, selon Carole Dweck diminuent la persistance dans la résolution de problème. En effet, l’élève peut alors considérer ses réussites comme prouvant son don, et ne pas se remettre en question le jour où il échoue. Laissons donc l’égo en paix ! Le recours à l’autonomie, la créativité, de même que le feedback sont également autant d’outils précieux pour travailler la mémoire et la gestion des émotions.

Je sors de ce livre plus instruit, instruit aussi de ce que l’on ne sait pas encore. La neuroéducation est une jeune science prometteuse, qui sera d’autant plus utile qu’elle saura s’articuler aux autres sciences de l’éducation.  Son application concrète reste également un nouveau chantier à ouvrir. Chiche !

pour en savoir plus et commander l'ouvrage : https://neuro-learning.fr/

 

[1] VON GLASERSFELD Ernst (1988), « introduction à un constructivisme radical» dans WATZLAWICK Paul, l’invention de la réalité, contributions au constructivisme, Paris, Seuil.

 

Tag(s) : #études
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